« Est-ce que le ministre est fier d’être la boniche des promoteurs? » a demandé la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal avant de soulever la bronca dans les rangs du gouvernement.

Radio-Canada révélait, vendredi matin, l’existence d’une directive qui enjoint aux fonctionnaires du ministère de l’Environnement d’opérer « un changement de culture ».

Il ne faut pas être vus comme ceux qui veulent empêcher la réalisation des projets, dit le sous-ministre Marc Croteau dans cette communication interne datée du 25 février.

Il faut s’occuper de chaque demande comme si c’était la nôtre, comme si nous étions le promoteur. Il ne faut pas être vus comme ceux qui veulent empêcher la réalisation des projets.

La volonté exprimée par le sous-ministre d’entrer dans une nouvelle ère, de mettre en place une nouvelle culture d’accompagnement des clients pour faire évoluer le rôle du ministère fait écho au nouveau projet de loi 61 qui suscite de vives réactions, parce qu’il vise à assouplir et à alléger l’évaluation des projets de relance économique.

Le ministère de l’Environnement n’est pas le comptoir de service des promoteurs, c’est le chien de garde de tous les Québécois, a déclaré Ruba Ghazal, mais le ministre a arrêté d’aboyer depuis bien longtemps.

Le ministre partage la vision de son sous-ministre

Benoit Charette n’a pas souhaité répondre aux attaques de Québec solidaire, mais en entrevue à Radio-Canada, il confirme et partage ce « changement de culture ». C’est un des mandats qui a été confié au sous-ministre, explique-t-il. Il faut améliorer le service à la clientèle auprès des promoteurs.

Le ministre ne pense pas que les propos du sous-ministre sont en contradiction avec le mandat du ministère. La mission du ministère en est aussi une de développement durable, dit-il.

Quand on parle de promoteurs, il s’agit souvent de municipalités et, oui, elles méritent d’être mieux accompagnées, mais jamais au détriment de l’environnement

De son côté, la porte-parole du ministère de l’Environnement, et donc du sous-ministre, Raphaëlle Savard-Moisan, explique qu’en étant en mesure de bien comprendre l’objectif du promoteur, le ministère peut agir en prévention plutôt qu’en réaction.

La directive du sous-ministre crée la controverse

Marc Croteau, sous-ministre à l'Environnement du Québec.

Marc Croteau est sous-ministre à l’Environnement du Québec depuis février 2019.

Photo : MELCC

Cette déclaration a aussi choqué le président du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), Christian Daigle. C’est un non-sens complet, lance-t-il. On est abasourdis d’avoir de tels propos de la part d’un sous-ministre.

Le rôle du ministère, c’est de protéger le territoire québécois pour l’ensemble des citoyens. Nos membres travaillent pour défendre l’environnement, et non pour être promoteurs de projets des entreprises.

Le SFPQ craint que ses inspecteurs ne se trouvent « en porte-à-faux » entre la mission du ministère et les propos du sous-ministre.

Le sous-ministre Marc Croteau est un haut fonctionnaire d’expérience. Ancien directeur de cabinet du premier ministre Jean Charest, il a été nommé à l’Environnement au début de 2019, peu après l’accession au poste de ministre de Benoit Charette, en remplacement de MarieChantal Chassé.

L’usage des termes “promoteur” et “client” est d’autant plus aberrant dans la mesure où M. Croteau est un employé de la fonction publique et qu’il a, à juste titre, la seule et unique fonction de servir le bien commun.

L’organisme Nature Québec est du même avis. C’est troublant, dit la directrice générale Alice-Anne Simard. Ça va à l’encontre du rôle du ministère. On ne comprend pas comment les fonctionnaires doivent se positionner.

C’est la population québécoise qui devrait être la clientèle du ministère de l’Environnement, pas les promoteurs.

Le projet de loi 61 en phase avec cette philosophie

Le controversé projet de loi, déposé mercredi, pour accélérer la relance économique, concrétise la vision du ministre et de son sous-ministre en venant alléger et assouplir l’évaluation environnementale pour les promoteurs.

L’organisme Nature Québec pense que le ministère de l’Environnement utilise la crise sanitaire actuelle comme excuse pour assouplir les règles. Plusieurs groupes écologistes sont d’ailleurs montés au front.

Jeudi, la députée libérale Marie Montpetit a accusé le ministre d’être le « fossoyeur » de l’environnement et d’avoir abdiqué face à ses collègues avec un portefeuille économique.

Benoit Charette répond qu’il espère plutôt raccourcir les délais en mettant fin aux multiples allers-retours et au yo-yo de questions-réponses et transferts de documents entre les promoteurs et les ministères dans le cadre de ces demandes d’autorisation pour influer sur l’environnement.

Le ministre accuse l’opposition d’hypocrisie

Le ministre affirme que des députés du Parti québécois, de Québec solidaire et du Parti libéral du Québec viennent régulièrement le voir pour se plaindre que des dossiers n’avancent pas assez vite à cause du ministère de l’Environnement. Il trouve donc ironiques leurs attaques.

Les fonctionnaires du ministère de l’Environnement du Québec font régulièrement l’objet de critiques de la part d’élus locaux, voire d’autres ministères. En février 2019, le ministre de l’Agriculture André Lamontagne les avait qualifiés d’« ayatollahs » et François Legault l’avait défendu.

Benoit Charette convient toutefois que, pour accélérer les évaluations environnementales des projets, il faudra aussi s’assurer d’avoir un nombre suffisant de fonctionnaires pour les analyser.

L’Assemblée nationale a finalement adopté une motion, vendredi, qui rappelle au ministre que « son seul “client” est le bien commun » et qu’il doit « se concentrer entièrement à la réalisation de la mission de son ministère » qui est de contribuer au développement durable du Québec en jouant un rôle clé dans la lutte contre les changements climatiques, la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité au bénéfice des citoyens et citoyennes.

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