Le gouvernement Legault compte offrir des cours de francisation à des travailleurs au profil recherché, plutôt que d’exiger, lors du processus d’immigration, une fine connaissance de la langue française.

Romain Schué

Le gouvernement Legault va-t-il revoir les habituelles exigences de la langue française dans le cadre de la sélection des immigrants?

La ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault, n’a pas caché les intentions de son équipe. On veut s’assurer d’avoir les meilleurs talents, a-t-elle clamé, mardi, lors de l’étude des crédits de son ministère.

Interrogée par Méganne Perry Mélançon, du Parti québécois, l’élue caquiste a évoqué des négociations avec le gouvernement fédéral, mais aussi une compétition très forte, dans le monde, pour des emplois très demandés, en citant les technologies de l’information.

On va travailler sur le critère de français, en fonction, entre autres, des différents postes. On est en train de négocier là-dessus, a-t-elle répondu.

Si vous parlez à des gens d’affaires, vous allez réaliser que c’est très, très difficile d’attirer des gens ici qui parlent déjà le français, dans certains secteurs. Oui, on va s’assurer d’aller chercher les bonnes personnes qu’on a besoin pour bénéficier à nos entreprises ici et leur offrir la francisation par la suite.

Une citation de :Nadine Girault, ministre de l’Immigration

Ils devront signer un engagement formel pour se franciser, a-t-elle promis.

Actuellement, connaître la langue française n’est cependant pas une obligation, mais davantage un sérieux atout pour immigrer au Québec. Selon la grille de sélection, utilisée dans le Programme régulier des travailleurs qualifiés, 16 points – sur 50 nécessaires – peuvent être accordés aux candidats qui veulent s’installer au Québec.

Legault parlait déjà de souplesse

Les propos de Nadine Girault s’inscrivent dans la lignée de ceux tenus récemment par François Legault. Dans une discussion privée, avec des chefs d’entreprise, il a promis une souplesse pour pourvoir, avec l’immigration, les postes rémunérés au-dessus du salaire moyen au Québec. Il a également indiqué « travailler sur un plan pour ajouter 10 000 [immigrants] dans la prochaine année », en parlant justement des technologies de l’information.

En fin d’année passée, Québec avait également lancé un premier projet pilote avec un volet réservé aux non-francophones travaillant dans l’intelligence artificielle.

Une accélération dans le traitement des dossiers

Aucun élu n’a questionné Nadine Girault sur le prochain plan d’immigration, qui devrait être annoncé au cours des prochains mois. Le gouvernement caquiste s’apprête à augmenter ses cibles.

La ministre de l’Immigration n’a pas fourni de détails, mais a soutenu mettre la pression sur le gouvernement fédéral pour donner la résidence permanente aux immigrants déjà sélectionnés par le Québec. Selon des données révélées par Radio-Canada, plus de 51 000 travailleurs qualifiés se trouvent dans cette situation.

L’an passé, Québec visait l’admission d’environ 44 000 immigrants permanents. Mais Ottawa n’a pas respecté cette cible. Il a manqué, a déjà précisé Nadine Girault, près de 18 000 personnes.

Pour 2021, j’ai reçu l’assurance qu’on va respecter notre plan d’immigration. Au total, Québec veut accueillir entre 44 500 et 47 500 personnes, sans compter un premier rattrapage de 7000 immigrants.

Nadine Girault a également rejeté la faute des longs délais de traitement sur les épaules d’Ottawa. Actuellement, un immigrant économique sélectionné par Québec doit patienter 27 mois avant d’obtenir sa résidence permanente. C’est inacceptable, a dit la ministre Girault.

Il faut se mettre en tête qu’il y a un problème au fédéral, a-t-elle spécifié. Ça n’a rien à voir avec [nos] seuils.

Vers un permis de travail ouvert transitoire?

De nombreux immigrants, déjà en emploi au Québec, ne peuvent changer d’employeur avant d’obtenir leur résidence permanente. En raison des délais de plus en plus longs, ces travailleurs peuvent ainsi être contraints de patienter plusieurs années, avec l’impossibilité de postuler à de nouveaux emplois.

Questionné à ce sujet, la ministre Girault a avoué ne pas avoir entendu parler de ce sujet, mais son sous-ministre, Benoit Dagenais, a indiqué avoir fait la demande, auprès du gouvernement fédéral, pour l’octroi d’un permis de travail ouvert pour ces travailleurs étrangers.

Des fraudes et un héritage libéral dénoncé

La ministre Girault a également évoqué, à plusieurs reprises, différentes fraudes qui auraient été constatées par son équipe.

En fin d’année passée, Québec avait suspendu une partie du programme de parrainage collectif des réfugiés. Peu de détails avaient filtré.

Officiellement, cette suspension, qui concerne les organismes de parrainage, est effective jusqu’au 1er novembre prochain. Des enquêtes et des analyses sont en cours et dès que les résultats seront connus, on poursuivra avec les groupes blanchis, a mentionné la ministre.

On a reçu des signalements de fraudes. On a mis une halte, pour l’instant, au parrainage par des organismes pour s’assurer qu’on ne profite pas des réfugiés qui viennent.

Une citation de :Nadine Girault, ministre de l’Immigration

Il y avait un peu un fouillis dans tout ça qui nous avait été laissé par le gouvernement précédent, a-t-elle ajouté, en faisant référence aux coursiers qu’on payait une fortune pour faire la file, afin de déposer un dossier de parrainage.

Ces pratiques avaient été constatées début 2020 et Québec s’était d’ailleurs engagé à revoir ce système et à instaurer un tirage au sort.

Un autre héritage du Parti libéral a sévèrement été critiqué par Nadine Girault. Depuis octobre 2019, le programme réservé aux immigrants investisseurs a été suspendu. Celui-ci permet à des étrangers fortunés, sous certaines conditions et en échange d’un placement de 1,2 million de dollars auprès d’Investissement Québec, d’obtenir un certificat de sélection du Québec (CSQcertificat de sélection du Québec).

C’était un fouillis total, a lancé la ministre. Selon les chiffres avancés par cette dernière, même pas deux immigrants sur 10, admis ici, sont restés au Québec.

Il y avait des lacunes sérieuses, a-t-elle ajouté, en parlant de problème d’intégrité. Il fallait faire le ménage. On ne peut pas se permettre d’admettre des investisseurs qui viennent chercher un CSQcertificat de sélection du Québec et quittent vers le reste du Canada, a-t-elle affirmé.

Pas d’élargissement pour les anges gardiens

Ouvert depuis décembre, après des mois de négociations avec le gouvernement fédéral, le programme de régularisation des demandeurs d’asile, qui ont travaillé au plus fort de la première vague de la pandémie, ne sera pas revu par Québec.

La ministre de l’Immigration, malgré de nombreuses demandes des oppositions, n’élargira pas son accès. Nadine Girault a d’ailleurs soutenu n’avoir eu aucune demande officielle à cet effet, même si plusieurs reportages sur ce sujet ont été diffusés dans les médias.

À l’heure actuelle, seuls ceux qui ont donné des soins directs à la population au printemps dernier, dans des établissements de santé, peuvent participer à ce programme qui permet d’obtenir une résidence permanente.

Ce programme n’a pas pour objectif de remplacer le processus d’octroi du statut de réfugié, mais de remercier ceux qui ont tenu la main de nos malades, a répété la ministre, en indiquant la volonté de son gouvernement de remercier spécifiquement les travailleurs de la première vague.

Au 3 mai, selon des données fournies par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, 377 demandes, concernant 809 personnes, ont été finalisées par Québec, sur les 680 dossiers envoyés au gouvernement provincial.

Romain Schué (accéder à la page de l’auteur)