Lisa-Marie Gervais

Après un timide départ, le programme de régularisation des anges gardiens ne semble toujours pas avoir pris de réel envol : à peine quelques milliers de candidats ont déposé un dossier et seulement 216 ont obtenu une résidence permanente, dont aucun au Québec.

À plus de la mi-chemin de la période des mises en candidatures, le nombre de dossiers déposés dans le cadre de ce programme spécial visant à régulariser les statuts des demandeurs d’asile qui travaillent dans la santé ne dépasse pas les 3200 au Canada. De ce nombre, un peu moins de la moitié (1400) proviennent du Québec, selon les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) datées du 10 avril. Un dossier représentant deux personnes en moyenne, 7577 personnes au total convoitent actuellement la résidence permanente par l’entremise de ce programme.

« C’est une goutte dans l’océan », a laissé tomber Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des réfugiés et des immigrants (TCRI). « On ne parle pas de raz-de-marée, on parle d’un mini-programme d’immigration », a-t-il ajouté en rappelant les craintes du gouvernement Legault qui, contrairement à Ottawa, souhaitait un programme plus restreint qui ne toucherait que les demandeurs d’asile ayant travaillé en soins directs aux patients durant la première vague.

À ce stade-ci du programme, le président de l’Association des avocats en droit de l’Immigration, Guillaume Cliche-Rivard, estime que la grande majorité des gens admissibles devraient avoir déposé une demande. Un avis que partagent les trois organismes communautaires québécois mandatés pour accompagner les candidats dans le processus. « On va parler de quelques milliers de personnes à travers le Canada, 10 000 personnes au maximum », dit-il, en soulignant que rien qu’au Québec, le gouvernement Legault cherche actuellement à pourvoir 14 000 postes en santé.

Un programme trop restrictif

Pour Marjorie Villefranche, directrice de la Maison d’Haïti, qui est l’un des organismes accompagnants, il ne fait pas de doute que le programme doit être élargi à plus de demandeurs d’asile. « Peut-on enlever la règle qui dit que 120 [des 750 heures de travail] accumulées doivent l’avoir été pendant la première vague, entre le 13 mars et le 14 août ? Il y en a plein qui ont travaillé tout aussi fort mais pendant les deuxième et troisième vagues », souligne-t-elle.

Dans sa version actuelle, le programme est aussi jugé « trop restrictif » par les organismes, car il exclut plusieurs professions jugées essentielles. Par exemple, les aides de service, qui sont nombreux à avoir effectué des gestes de préposés aux bénéficiaires durant la crise de la première vague, sont exclus. « Selon leur description de tâches, plusieurs personnes ne devaient pas être en contact direct avec le patient, mais dans les faits, elles l’ont été », a dit Martin Savard, qui s’occupe du programme spécial pour le Centre social d’aide aux immigrants (CSAI). « On a eu ce défi de faire reconnaître que la personne a bel et bien été en contact. Dans certains cas, ça marche ; dans d’autres, on continue de sensibiliser les employeurs. »

Lenteur de traitement

Au Québec, seulement 94 de tous les dossiers déposés, soit 7 %, ont obtenu une « approbation de principe », ce qui signifie qu’il ne manque que les vérifications d’usage, notamment de sécurité, pour que les candidats soient admis par le gouvernement fédéral. Ailleurs au Canada, ce sont 48 % des dossiers qui sont à cette étape d’approbation. « À ce jour, certaines personnes n’ont même pas reçu d’accusé de réception de la première étape. C’est anxiogène pour elles », constate Yannick Boucher, directeur des services aux personnes chez Accueil liaison pour arrivants (ALPA).

Marjorie Villefranche rappelle que le mouvement pour demander la régularisation des demandeurs d’asile travailleurs essentiels était parti d’ici. « En négociant un programme spécial, le Québec en a fait bénéficier tout le monde au Canada. Mais là, plus de personnes sont acceptées ailleurs, et c’est chez nous que ça bloque », dit-elle. « On ne comprend pas et on regarde les gouvernements se renvoyer la balle. » Avec les deux autres organismes, elle dit avoir fait part de ses doléances lors d’une rencontre proposée par le ministre fédéral de l’Immigration, Marco Mendicino.

Selon Guillaume Cliche-Rivard, les deux ordres de gouvernements ont leur part de responsabilité dans les délais. « Avant qu’on reçoive l’accusé de réception et la lettre permettant de se tourner vers Québec pour demander le Certificat de sélection du Québec [CSQ], IRCC nous fait attendre deux bons mois. Ensuite, le Québec met encore deux ou trois mois à délivrer le CSQ », dit l’avocat, en se basant sur ce qu’il observe des dossiers de ses clients.

Encore des obstacles

Me Cliche-Rivard déplore surtout que le gouvernement du Québec n’ait pas changé son principal formulaire, qui semble toujours exiger une attestation de travail ou une lettre d’emploi dans leur version « originale », ce qui est difficile à obtenir en pleine pandémie. La ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault, avait pourtant annoncé en mars dernier des « mesures d’assouplissement » et des copies avec justification allaient pouvoir être acceptées.

Joint par Le Devoir, le cabinet de la ministre a indiqué qu’il acceptait, comme promis, les copies des documents originaux. Quant aux délais de délivrance de CSQ, ils ne dépasseraient pas un mois et 339 demandes, sur un total de 651 reçues, ont été traitées en date du 26 avril, selon l’attachée de presse, Flore Bouchon. « Le nombre de dossiers traités et de CSQ délivrés est en évolution continue, ce qui démontre le succès du programme spécial », a-t-elle déclaré.