Une fois le choc de son renvoi du Conseil des ministres passé, l’ex-ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, accepte de nous recevoir sur sa terre, à Mirabel. Elle n’est ni émotive ni amère, et ne veut surtout pas se présenter comme une victime. Elle est plutôt déçue de la façon dont les derniers jours se sont déroulés. Elle reconnaît que le lien de confiance avec le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APQNL), Ghislain Picard, s’est dégradé, ce qui a sûrement contribué à sa rétrogradation.

Je suis fatiguée de tout ce tourbillon médiatique. C’est dur, la politique, quand on travaille avec de la perception. C’est ingrat, parce qu’on n’a pas la chance d’expliquer ce qu’on fait, confie-t-elle.

C’est justement pour combattre la perception qu’elle n’a rien fait pour les Premières Nations au cours des deux dernières années qu’elle veut nous parler. Même si elle était peu visible dans les médias, elle réfute les critiques voulant qu’elle n’arrivait pas à travailler avec ses interlocuteurs. Au contraire, soutient-elle, ses relations étaient très bonnes avec tous les autres chefs.

Un dossier qui n’avance pas vite, reconnaît-elle

Le bureau du premier ministre François Legault s’est retrouvé en gestion de crise à la suite de la mort consternante de Joyce Echaquan, à l’hôpital de Joliette. Il a affirmé publiquement que la mise en œuvre des recommandations de la commission Viens sur les relations entre les Autochtones et les services publics n’avançait pas assez vite.

Effectivement, on aurait dû aller un peu plus vite, mais moi j’étais dans la même vitesse que les Autochtones. J’aurais pu aller plus vite que ça toute seule, mais le but c’était de le faire avec eux, pour eux. Je dois respecter la vitesse des nations autochtones. Ils veulent bien le faire. Si on n’arrivait pas à avancer ensemble, c’est moi qui étais stoppée. Moi, j’avais les sous nécessaires.

Elle se désole que les 200 millions de dollars prévus pour donner suite aux recommandations de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec n’aient pas encore servi.

Je suis convaincue qu’on y serait arrivés s’il n’y avait pas eu la pandémie, s’il n’y avait pas eu ce conflit-là entre le chef Ghislain Picard et moi. Je ne peux même pas expliquer pourquoi. Il faudrait peut-être lui demander à lui aussi. Dans ces circonstances, elle dit comprendre que le premier ministre devait faire table rase et nommer un nouveau ministre. M. Picard aurait annulé plusieurs rencontres avec elle à la dernière minute.

Si j’étais l’élément qui avait une problématique avec le chef Picard, je suis aussi bien de me tasser. Le chef Picard, lui, va rester. C’est quelqu’un qui est nommé par les Autochtones. On ne peut pas se permettre de couper ce lien-là. Le choix était probablement très très difficile pour le premier ministre. S’il faut qu’on change de ministre parce qu’on veut avancer avec les Nations, je me tasse c’est tout.

Elle confirme aussi qu’elle ne partageait pas toujours la même vision que sa sous-ministre, ce qui a pu causer des frictions.

En revanche, Sylvie D’Amours se félicite d’avoir mis en place une équipe composée principalement de femmes issues des Premières Nations au sein de son cabinet.

Des projets en suspens?

Sylvie D’Amours est déçue de ne pas avoir pu annoncer les projets sur lesquels elle travaillait depuis deux ans et espère que son successeur y donnera suite. Parmi eux, des petits déjeuners dans toutes les écoles autochtones, des CLSC mieux orientés sur leurs besoins, et un projet de loi pour que des parents atikamekw puissent connaître la vérité au sujet de la disparition de leur bébé dans les années 1980.

L’ancienne ministre voulait aussi créer le Service aux Autochtones du Québec, qui aurait regroupé tous les programmes créés pour eux et en aurait fait la promotion.

Comme son premier ministre, elle n’était cependant pas prête à reconnaître le racisme systémique. D’un point de vue autochtone, je me demande comment le nommer. Je me suis penchée sur comment on peut nommer ça. Est-ce que c’est un racisme colonialiste? Je ne voulais pas qu’on s’arrête aux mots. Je voulais qu’on agisse.

La politique, plus dure pour les femmes?

Mme D'Amours, à droite, parle avec Véronique Prince, à gauche.

L’ex-ministre Sylvie D’Amours a reçu la correspondante parlementaire Véronique Prince sur sa terre, à Mirabel, quelques jours après avoir été éjectée du Conseil des ministres.

Photo : Radio-Canada

Depuis le début du mandat caquiste, trois femmes ont perdu leur poste de ministre. Sylvie D’Amours ne pense pas que François Legault traite les femmes différemment des hommes. Elle défend d’ailleurs à maintes reprises son patron, même hors micro.

La députée de Mirabel trouve par contre que la bulle parlementaire est moins indulgente envers les femmes. Elle se rappelle entre autres un journaliste qui lui a posé des questions sur un collier qu’un chef autochtone lui avait offert. Est-ce qu’il aurait demandé à un homme qu’est-ce que le dessin sur sa cravate veut dire?

L’ensemble de l’œuvre est plus difficile pour les femmes que pour les hommes. L’ensemble, c’est pas juste le gouvernement, c’est pas juste notre équipe. On vit avec des perceptions. Elle craint que moins de femmes acceptent de se présenter en politique.

Un pouvoir relatif

Comme sa collègue Marguerite Blais l’a affirmé à l’émission Enquête récemment, Sylvie D’Amours n’avait pas non plus toute la latitude qu’elle aurait souhaitée.

Dans plusieurs dossiers, comme les blocus ferroviaires, d’autres de ses collègues avaient reçu le mandat du bureau du premier ministre de commenter à sa place, parce que l’enjeu touchait davantage leur ministère. Elle affirme cependant avoir réussi à régler des litiges qui n’ont pas attiré l’attention des journalistes. C’est pas parce que je n’avais pas de pouvoir, mais on m’avait dit voici le bout de chemin que tu dois faire.

De plus, les Premières Nations veulent surtout négocier avec le premier ministre, qu’elles considèrent comme leur véritable vis-à-vis. Est-ce que les mêmes difficultés attendent son successeur Ian Lafrenière? Difficile pour elle de penser le contraire. Elle pense lui avoir fourni tous les outils nécessaires pour faire avancer les dossiers, d’autant plus que le premier ministre compte s’impliquer personnellement.

En ce qui concerne les deux dernières années de son mandat comme députée de la circonscription de Mirabel, dans les Laurentides, Mme D’Amours n’a pas l’intention de démissionner.

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