Qu’est-ce qui pousse les gens à adhérer aux théories du complot? Comment se construit la pensée conspirationniste? Et quelle est son incidence sur les jeunes?

Depuis le début de la pandémie, et de l’infodémie qui l’a accompagnée avec la propagation de fausses nouvelles, le mouvement complotiste a été minimisé par le gouvernement de François Legault. C’est une petite exception, avait lancé fin août le premier ministre quand la députée indépendante Catherine Fournier l’a interpellé sur la popularité grandissante des théories du complot.

Cependant, le phénomène commence à susciter de plus en plus d’inquiétude, et de nombreux politiciens sont la cible de propos violents et haineux sur les réseaux sociaux.

En deux semaines, au moins quatre hommes, de différentes régions du Québec, ont fait face à la justice pour incitation à la haine et pour avoir proféré des menaces à l’endroit de François Legault et du directeur national de santé publique Horacio Arruda.

Depuis quelques semaines, des internautes revendiquent par ailleurs le droit de procéder à des arrestations citoyennes. Fin septembre, lors d’une manifestation contre le port du masque à Montréal, un homme a affirmé à la foule avoir déposé une plainte criminelle pour haute trahison contre MM. Legault et Arruda, avant d’appeler à l’arrestation citoyenne des 125 députés de l’Assemblée nationale.

Une foule de personnes, sans masque, manifeste. Un homme tient une pancarte où l'on peut lire : Non au masque obligatoire.

Des manifestants dans les rues de Montréal se sont opposés au port du masque, à la vaccination et au réseau 5G.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Dans l’espoir de mieux comprendre ce phénomène, le ministère québécois de la Sécurité publique vient de solliciter l’aide du CEFIR, le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation.

Pendant huit mois, ce centre qui relève du Cégep Édouard-Montpetit étudiera les processus de construction des différents discours conspirationnistes autour de la COVID-19 et leur incidence chez les cégépiens.

Il devra toutefois compter sur une modeste subvention de 40 000 $ de la part du ministère de la Sécurité publique. C’est vrai que la subvention de Québec est insuffisante, mais le gouvernement a démontré beaucoup d’ouverture pour financer les prochaines phases pour la mise en place d’outils plus concrets pour la prévention de ces types de discours là, affirme Martin Geoffroy, directeur du CEFIR et professeur de sociologie au Cégep Édouard-Montpetit.

À titre de comparaison, le CEFIR avait reçu l’an dernier une aide de plus de 300 000 $ du gouvernement fédéral pour mener une recherche sur les groupes identitaires et d’extrême droite du Québec, une mouvance qu’il juge en croissance.

Une bannière sur laquelle est écrit : L'OMS nous ment. Dehors.

L’Organisation mondiale de la santé a été au centre de plusieurs théories du complot durant la pandémie.

Photo : Radio-Canada / Daniel Coulombe

Jusqu’à tout récemment, effectivement, le conspirationnisme n’était pas pris au sérieux [par le gouvernement du Québec] […] Ce n’est qu’un début. Ça va prendre beaucoup plus que ça pour faire avancer les choses, mais c’est un pas dans la bonne direction.

Dans un courriel, le ministère de la Sécurité publique affirme ne pas avoir octroyé d’autres subventions pour l’étude du mouvement complotiste de manière spécifique.

Le ministère précise toutefois qu’il contribue au financement de la Chaire de recherche UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, laquelle s’intéresse notamment à ce phénomène. Cela permettra d’obtenir un éclairage sous deux angles différents, indique la direction des communications au sein du ministère.

L’objectif est simplement de mieux connaître et comprendre le phénomène, de même que ses impacts potentiels, notamment sur la sécurité publique […] Ceci dit, le ministère assure un suivi du phénomène.

Drapeau sur lequel est écrit : Non à loi 61, non au masque obligatoire, oui à la liberté!!!

Une manifestation anti-masque à Rimouski.

Photo : Radio-Canada / Samuel Ranger

Selon M. Geoffroy, l’un des aspects intéressants sur lequel il se penchera dans sa recherche est la diversité du mouvement, qui regroupe aussi bien des gens de l’extrême droite que de l’extrême gauche.

On remarque que c’est beaucoup plus disparate qu’on ne le pensait au départ, indique le chercheur, évoquant la présence de personnes adeptes du Nouvel Âge aux côtés d’anciens membres du groupe identitaire La Meute, par exemple. Et ajoutons à cela les fondamentalistes protestants et les intégristes catholiques […] pour qui les lois de Dieu sont plus importantes que les lois des hommes.

La pandémie a eu pour effet de réunir les gens de l’extrême droite qui était très fragmentée, et ça leur a permis aussi de trouver des intérêts communs avec d’autres mouvances […] Ça a été une occasion de faire des alliances.

Selon le chercheur, les théories du complot ont existé bien avant la pandémie et elles ne disparaîtront pas de sitôt. La pandémie n’a fait qu’exacerber le mouvement, affirme-t-il. Le problème, c’est qu’il [existe] un déficit au niveau de l’alphabétisation numérique et surtout de l’éducation scientifique.

Il y a un travail immense à faire, ajoute-t-il, tout en concédant que le phénomène au Québec est beaucoup moins répandu qu’aux États-Unis, surtout en cette période électorale. Au Québec, il s’agit de groupes beaucoup plus marginaux et c’est peut-être pour ça qu’on ne les a pas étudiés jusqu’à maintenant, dit-il. Quand on se compare, on se console.

Add Your Comment