Au Saguenay-lac-Saint-Jean, 13 militants indépendantistes ont été arrêtés et emprisonnés dans la foulée de l’application de la Loi sur les mesures de guerre, en octobre 1970. Deux des rares survivants de l’époque ainsi que l’ex-ministre de la Justice, Marc-André Bédard, réclament à leur tour des excuses d’Ottawa pour cette violation des droits et libertés du peuple québécois.

La nuit du 16 octobre 1970

À 84 ans, Rosaire Girard est loin d’avoir oublié la rafle du 16 octobre 1970, à Chicoutimi. Il raconte avoir été réveillé brutalement à 4 h du matin : : “Avez-vous des mandats?” Pas besoin de mandat, c’est les mesures de guerre.”,”text”:”Bang! Bang! Bang! C’est la police! J’ai dit: “Avez-vous des mandats?” Pas besoin de mandat, c’est les mesures de guerre.”}}” lang=”fr”>Bang! Bang! Bang! C’est la police! J’ai dit : “Avez-vous des mandats?” Pas besoin de mandat, c’est les mesures de guerre. Ottawa venait de déclarer un état d’insurrection appréhendée et de confier des pouvoirs d’exception aux corps policiers du Québec.

Les photos d'identité judiciaire de Rosaire Girard datant du 16 octobre 1970.

Rosaire Girard a conservé les photos d’identité judiciaire prises le 16 octobre 1970.

Photo : Radio-Canada / Courtoisie

Ses fils Claude et André, qui avaient alors 11 ans et 9 ans, se souviennent de l’arrestation de leur père devant sa femme et ses sept enfants. Les policiers sont entrés par les trois portes de la maison, explique Claude. Ils nous ont sortis de nos lits et ont commencé à fouiller nos chambres, poursuit André. Ils ont mis la maison sens dessus dessous, allant jusqu’à vider la boîte de décorations de Noël à la recherche d’armes, se remémorent les deux frères.

Rosaire Girard était sympathique aux idées nationalistes du Front de libération du Québec (FLQ) jusqu’à l’enlèvement de James Cross et de Pierre Laporte, quelques jours plus tôt. Il avait milité au sein du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) et adhérait maintenant au Parti québécois, mais n’avait jamais participé de près ou de loin à un complot contre le gouvernement.

Claude Auclair.

Le syndicaliste Claude Auclair avait 24 ans au moment de la rafle policière.

Photo : Radio-Canada / Courtoisie

Au même moment, à Alma, d’autres policiers forçaient la porte de Claude Auclair, un syndicaliste qui travaillait à l’usine à papier Price Brothers. Ils ne voulaient même pas me laisser aller aux toilettes, se rappelle l’homme de 74 ans, qui qualifie son arrestation de sauvage. Sa femme, Patricia, qui s’occupait de leur garçon de 2 ans, était révoltée de voir les agents fouiller partout, même dans son tiroir de sous-vêtements.

Onze autres militants de l’indépendance du Québec ont subi le même sort qu’eux au Saguenay-Lac-Saint-Jean cette nuit-là, et près de 450 personnes au total, à travers la province.

Marc-André Bédard et René Lévesque s'adressent aux journalistes.

Marc-André Bédard et René Lévesque sont des membres fondateurs du Parti québécois.

Photo : Radio-Canada

Militant souverainiste de la première heure, Marc-André Bédard, a été épargné. L’avocat avait remarqué des voitures de police qui rôdaient autour de sa maison, mais c’est la femme du militant d’Alma Maurice Jean qui lui a appris ce qui se passait au téléphone, au petit matin. Elle était surprise de me voir à la maison. Je lui ai demandé pourquoi? Elle a dit parce qu’ils viennent d’arrêter mon mari. Il vous a demandé comme avocat et les policiers lui ont dit inquiète-toi pas, ton avocat tu vas l’avoir avec toi dans peu de temps, raconte-t-il.

Des années plus tard, Marc-André Bédard a su que son nom avait été rayé de la liste des arrestations à la dernière minute, notamment parce qu’il était membre du bureau national du Parti québécois avec René Lévesque.

Incarcérés à la prison d’Orsainville

Rosaire Girard et Claude Auclair ont respectivement été emprisonnés pendant 13 et 21 jours à Orsainville.

Coupés de toutes communications, ils ont été envoyés « au trou ». Certains prisonniers politiques d’octobre 1970 ont été battus, d’autres menacés d’exécution.

Ils étaient traités comme des criminels de guerre.

Rosaire Girard.

À 84 ans, Rosaire Girard est le seul des militants du PQ arrêtés à Chicoutimi lors de la crise d’Octobre encore vivant.

Photo : Radio-Canada

Pendant ce séjour forcé, les enquêteurs ont voulu faire avouer à Claude Auclair qu’il était responsable d’un camp felquiste en forêt.

stock pour les nourrir. C’était complètement insensé”,”text”:”Au bout de sept jours, ils nous passaient des interrogatoires. Moi, j’allais à la pêche dans le bout de Pit Morgan et, d’après eux autres, il y avait des individus qui s’entraînaient là et c’est moi qui leur apportais du stock pour les nourrir. C’était complètement insensé”}}” lang=”fr”>Au bout de sept jours, ils nous passaient des interrogatoires. Moi, j’allais à la pêche dans le bout de Pit Morgan et, d’après eux autres, il y avait des individus qui s’entraînaient là et c’est moi qui leur apportais du stock pour les nourrir. C’était complètement insensé, relate-t-il.

Claude Auclair tient le drapeau des patriotes.

Le drapeau des patriotes flotte toujours sur le terrain de Claude Auclair, 50 ans après les événements d’octobre 1970.

Photo : Radio-Canada / Romy Boutin St-Pierre

Claude Auclair avait travaillé pendant deux ans à Montréal avant d’être embauché par la papetière du Lac-Saint-Jean. Impliqué dans l’union des forces syndicales de la CSN et de la FTQ, il avait connu des gens du FLQ et d’autres personnes influentes de la gauche, comme Michel Chartrand. Or, il n’a jamais adhéré au Front de libération ni prôné la violence. Il a été membre du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) et militait à la Société Saint-Jean-Baptiste, ainsi qu’à la Société nationale des Québécois.

Comme 95 % des prisonniers politiques, Rosaire Girard et Claude Auclair n’ont jamais été accusés.

Les séquelles de la crise d’Octobre

Claude Auclair et son épouse ont subi du harcèlement après les arrestations d’Octobre 1970.

Les gens criaient FLQ! dans le téléphone et toutes sortes de choses.

Le militant syndical a été stigmatisé. Il était étiqueté comme un terroriste et un extrémiste au Lac-St-Jean. Il a mis des années à s’en remettre, mais y est arrivé grâce au soutien de sa femme et à un suivi psychologique. 1980″,”text”:”J’ai pris un recul syndicalement pour me faire oublier jusqu’en1980″}}” lang=”fr”>J’ai pris un recul syndicalement pour me faire oublier jusqu’en 1980, explique-t-il.

Plusieurs autres sont demeurés craintifs, voire paranoïaques. Certains ont été traumatisés par cette arrestation nocturne ou encore par le dur séjour à Orsainville. Des militants sont d’ailleurs devenus schizophrènes. Les prisonniers politiques en ont discuté entre eux et sont arrivés à un constat.

On estime que 10 % des gens qui ont été arrêtés ont fait des dépressions.

Patricia Fleury et son mari, Claude Auclair.

50 ans plus tard, Patricia Fleury est encore troublée par l’arrestation et l’emprisonnement de son mari, Claude Auclair.

Photo : Radio-Canada / Romy Boutin St-Pierre

Excuses d’Ottawa réclamées

Marc-André Bédard, qui a maintenant 85 ans, a été ministre de la Justice du premier gouvernement péquiste. C’est lui qui a ordonné la tenue de l’enquête Duchaîne et de la commission Keable pour faire la lumière sur les événements d’Octobre et les opérations policières qui ont suivi. Il garde un souvenir honteux de cette tentative de casser le mouvement indépendantiste sous prétexte de lutter contre le terrorisme.

FLQ“,”text”:”La Loi des mesures de guerre, c’est une attaque de front à la démocratie. Ils avaient comme arrière-pensée de pouvoir carrément essayer de faire disparaître un parti qui œuvrait de façon démocratique. Certains fédéralistes ont essayé de faire un amalgame entre le Parti québécois et les gestes condamnables du FLQ”}}” lang=”fr”>La Loi des mesures de guerre, c’est une attaque de front à la démocratie. Ils avaient comme arrière-pensée de pouvoir carrément essayer de faire disparaître un parti qui œuvrait de façon démocratique. Certains fédéralistes ont essayé de faire un amalgame entre le Parti québécois et les gestes condamnables du FLQ, rappelle l’ancien député de Chicoutimi.

C’est un crime contre la démocratie.

Marc-André Bédard.

Marc-André Bédard demande à Justin Trudeau de présenter des excuses officielles à tous les Québécois.

Photo : Radio-Canada / Romy Boutin St-Pierre

Même si Justin Trudeau a démontré peu d’ouverture à présenter des excuses officielles jusqu’à présent, Marc-André Bédard l’invite à demander pardon aux Québécois dont les droits et libertés ont été bafoués sous la gouverne de son père, Pierre-Elliot Trudeau.

Ça aurait dû être fait depuis longtemps. Il doit s’excuser auprès des personnes qui ont été arrêtées, mais également auprès de l’ensemble de la population du Québec. Qu’il dise à quel point les mesures de guerre ont été non justifiées et ont représenté énormément d’injustice, énormément de douleur aussi pour ceux et celles qui ont été emprisonnés, dit-il.

Les fils de Rosaire Girard croient que les anciens prisonniers politiques toujours vivants devraient même être dédommagés. Ils espèrent d’ailleurs que la société trouvera une façon de rendre hommage à tous ceux et celles qui ont payé de leur liberté en octobre 1970.

Les indépendantistes arrêtés au Saguenay-Lac-Saint-Jean en 1970

  • Gérard Claveau à Chicoutimi
  • Marcel Côté à Chicoutimi
  • Jean Gagnon à Chicoutimi
  • Rosaire Girard à Chicoutimi
  • Claude Auclair à Alma
  • Maurice Jean à Alma
  • Pierre Lavoie à Alma
  • Roger Lavoie à Alma
  • Urbain Lavoie à Alma
  • André Lessard à Alma
  • Bertrand Simard à Alma
  • Jean-Yves Tremblay à Alma
  • Réjean Tremblay à Alma

Avec la collaboration de Michel Gaudreau

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