Justin Trudeau soutient que ni lui ni aucun membre de son équipe n’ont « tenté de dicter ou d’influencer » la décision de confier à l’organisme UNIS la gestion de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE).

Lors de son témoignage par vidéoconférence de 90 minutes devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes, le premier ministre canadien a aussi affirmé n’avoir jamais été en conflit d’intérêts dans cette affaire.

UNIS n’a reçu aucun traitement de faveur. Ni de moi ni de qui que ce soit d’autre. La fonction publique a recommandé l’organisme, et je n’ai absolument rien fait pour influencer cette recommandation.

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M. Trudeau affirme qu’il n’a appris que le 8 mai que les fonctionnaires canadiens recommandaient de confier la gestion du programme de BCBE à UNIS (We Charity, en anglais).

Le comité du Cabinet chargé de la réponse fédérale à la COVID-19 avait quant à lui été informé trois jours plus tôt de la décision de confier le programme à un organisme externe, a-t-il dit.

M. Trudeau dit qu’il a demandé pourquoi Service jeunesse Canada, que son gouvernement a créé en 2018, n’était pas appelé à gérer le BCBE, et qu’il s’est fait répondre qu’il n’avait pas la capacité de le faire.

Trudeau dit avoir retardé la décision

Justin Trudeau apparaît sur un téléphone cellulaire.

Justin Trudeau a réitéré avoir participé à des événements de l’organisme UNIS sans jamais avoir été rémunéré.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

Disant être conscient que le choix d’UNIS serait examiné de près, Justin Trudeau affirme même qu’il a demandé à ce que la décision du Cabinet d’accorder le contrat à UNIS soit repoussée du 8 au 22 mai.

[Ma cheffe de cabinet Katie Telford et moi] savions tous deux qu’UNIS avait des liens avec des gens dans notre gouvernement, incluant moi-même, puisque j’avais pris la parole lors de leurs événements dans le passé. Je n’ai jamais été payé pour le faire.

mai pour que davantage de travail soit fait.”,”text”:”Nous voulions être certains que le processus et la décision allaient être les meilleurs possible dans ce contexte. Alors, j’ai décidé de retirer la proposition de BCBE de l’ordre du jour du Cabinet le 8mai pour que davantage de travail soit fait.”}}” lang=”fr”>Nous voulions être certains que le processus et la décision allaient être les meilleurs possible dans ce contexte. Alors, j’ai décidé de retirer la proposition de BCBE de l’ordre du jour du Cabinet le 8 mai pour que davantage de travail soit fait.

Le Cabinet a finalement bel et bien approuvé l’idée de recourir à UNIS le 22 mai, après que les fonctionnaires eurent fait les vérifications requises.

En fait, ils ont dit que si nous voulions que le programme se concrétise, ce ne pouvait être qu’avec UNIS. Ce n’était pas un choix entre deux fournisseurs. Soit nous allions de l’avant avec UNIS pour livrer le programme, soit il n’y avait pas de programme, a fait valoir le premier ministre.

M. Trudeau reconnaît en outre qu’il connaît les cofondateurs d’UNIS, les frères Kielburger, mais qu’il n’est pas leur ami et qu’il ne leur a pas parlé au cours des derniers mois.

Trudeau croit qu’il n’avait pas à se récuser

Une fois de plus, Justin Trudeau a regretté de ne pas s’être récusé de cette rencontre le 22 mai, même si, à son avis, cela n’était pas requis dans cette situation.

Ni lui ni sa femme, Sophie Grégoire Trudeau, n’ont été payés pour leurs participations à des événements organisés par UNIS, ce qui le dispensait de se préoccuper de la Loi sur les conflits d’intérêts, a-t-il laissé entendre.

Pierre Poilievre parle devant une bibliothèque remplie de livres.

Le député conservateur Pierre Poilievre a cherché à savoir à plusieurs reprises combien d’argent ont touché les membres de la famille Trudeau de la part de l’organisme UNIS.

Photo : Radio-Canada

La loi, a-t-il fait valoir ultérieurement lors d’un échange avec le conservateur Pierre Poilievre, ne tient compte que des avantages reçus par un député, sa conjointe et leurs enfants, mais pas les autres membres de leur famille.

Je n’étais pas en situation de conflit d’intérêts. Je ne suis pas en situation de conflit d’intérêts. Je me suis excusé à cause de la perception des liens avec ma famille. Ça aurait été plus facile, et j’aurais dû me retirer pour permettre à ce programme d’avancer.

Justin Trudeau dit qu’il était bien au courant que sa mère, Margaret, et son frère, Alexandre, avaient travaillé avec UNIS, mais sans plus.

Je ne savais pas quelle somme de travail chacun d’eux avait fait pour UNIS ni combien ils avaient été payés, a-t-il affirmé. Ce sont des choses que je n’ai apprises qu’une fois le programme lancé publiquement.

Il a aussi dit avoir obtenu l’assurance que ni sa mère ni son frère ne pourraient bénéficier d’une quelconque façon du nouveau programme.

Le premier ministre soutient par ailleurs que le commissaire à l’éthique a autorisé sa femme à travailler sans rémunération et à se faire rembourser les dépenses engagées pour ses collaborations avec UNIS.

Pas au courant des voyages de Morneau

Justin Trudeau a aussi affirmé qu’il ne savait pas que son ministre des Finances, Bill Morneau, avait voyagé avec UNIS en 2017. Il dit ne pas avoir été surpris de l’apprendre, étant donné son engagement envers la jeunesse.

Je savais qu’une de ses filles avait fait des projets avec WE. […] mais je ne savais pas qu’il y avait une autre fille qui travaillait comme tel pour l’organisme.

Le témoignage de M. Trudeau a donné lieu à quelques échanges cacophoniques avec les députés de l’opposition, particulièrement avec le conservateur Pierre Poilievre.

Ce dernier a longuement insisté, dans deux échanges distincts, pour que M. Trudeau précise combien d’argent provenant d’UNIS ont reçu tous les membres de sa famille.

Wayne Easter apparaît sur un écran de télévision dans une salle d'audience.

Le président du comité permanent des finances de la Chambre des communes Wayne Easter.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

M. Trudeau s’est constamment borné à dire que cela avait été révélé lors du témoignage des frères Kielburger, mardi, et qu’il n’avait pas les chiffres devant lui.

La séance a aussi donné lieu à de nouveaux problèmes liés au recours à la vidéoconférence. À un moment, le président du comité, le libéral Wayne Easter, a été déconnecté, conférant du même coup au vice-président Pierre Poilievre le pouvoir d’arbitrer les échanges.

M. Poilievre, qui avait été rappelé à l’ordre par M. Easter à quelques reprises, était alors en train de poser des questions serrées au premier ministre.

Après le témoignage de M. Trudeau, sa cheffe de cabinet, Katie Telford, a répondu aux questions des membres du comité pendant deux heures.

La Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant devait permettre d’offrir 1000 $ à des étudiants et diplômés incapables de se trouver du travail en raison de l’épidémie de COVID-19 pour chaque tranche de 100 heures de bénévolat effectué, jusqu’à concurrence de 5000 $. Devant la controverse, UNIS a finalement renoncé au contrat le 2 juillet, et le programme est maintenant administré par la fonction publique.

Katie Telford rejette la responsabilité sur les fonctionnaires fédéraux

Katie Telford apparaît sur l'écran d'un ordinateur portable.

Katie Telford, cheffe de cabinet de Justin Trudeau, a témoigné devant le comité des finances de la Chambre des communes.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

C’était un choix binaire, ce programme ou pas de programme, a répété à maintes reprises Katie Telford au comité des finances, qui l’a interrogée pendant deux heures sur les dépenses engagées par le gouvernement, sur UNIS et sur la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant.

Sa ligne de défense, jumelle de celle du premier ministre, a tout fait pour balayer les soupçons de conflits d’intérêts et de favoritisme. La conseillère du premier ministre a expliqué, insistante, que la décision d’offrir le contrat à UNIS était celle des fonctionnaires fédéraux.

Elle a toutefois reconnu que le manque de choix pour l’attribution d’un programme de près de 1 milliard de dollars a soulevé des questions au sein du Cabinet.

Oui, j’avais des préoccupations, je me demandais si c’était le bon organisme pour être responsable du programme, le seul aussi [….] Sophie Grégoire Trudeau venait de lancer un balado [avec UNIS] mais le commissaire à l’éthique a donné son aval, on a donc lancé le programme.

Son Cabinet était bel et bien conscient du problème de perception qu’engendrerait le choix d’UNIS, provoquant le report de la décision du premier ministre. Il y a eu des vérifications à faire, on voulait s’assurer que nous utilisions la bonne méthode, a répondu la cheffe de cabinet, s’en remettant systématiquement aux recommandations des fonctionnaires dans les décisions prises par Justin Trudeau.

Quant aux modalités d’entente, y compris le recours à une société-écran comme la We Charity Foundation pour le contrat passé avec Ottawa, c’est le genre de chose qu’on laisse à la fonction publique qui détermine les contrats et les détails, a-t-elle rétorqué.

Les choses ne se sont pas déroulées comme elles auraient dû

Les députés l’ont questionnée à plusieurs reprises sur les échanges passés entre le bureau du premier ministre et l’appareil public fédéral, lequel aurait pu être influencé dans l’octroi du contrat à UNIS.

Avez-vous eu des liens avec UNIS ? Avec-vous parlé aux Kielburger?, a insisté le député libéral Sean Fraser. La dernière fois que je les ai vus, c’était à Toronto où il y avait des centaines de personnes, en novembre 2017, s’est-elle défendue, imperturbable.

Quels sont les noms des gens du Cabinet ayant eu plusieurs communications avec UNIS avant l’annonce du programme?, a demandé le député NPD Peter Julian. Je n’ai pas noté cela, a-t-elle répondu, évasive, avant de reconnaître qu’environ quatre à cinq membres du Cabinet auraient été en contact avec UNIS avant l’annonce officielle du programme, sans pour autant les nommer.

Ce n’est pas la première fois que Katie Telford, proche conseillère de Justin Trudeau, sort de l’ombre. Celle qui a dirigé à plusieurs reprises la campagne électorale de Justin Trudeau résiste aux tempêtes politiques au sein du Cabinet alors que l’ancien secrétaire principal de M. Trudeau, Gerald Butts, avait décidé de démissionner à l’issue de l’affaire SNC-Lavalin.

Apparence de conflit d’intérêts

Après l’annonce de l’octroi du contrat à UNIS, les liens étroits du premier ministre, et de membres de sa famille, avec l’organisme ont rapidement été montrés du doigt par les partis d’opposition, qui l’ont accusé de s’être placé en conflit d’intérêts.

L’organisme fondé par les frères Craig et Marc Kielburger s’est désisté, de sorte que le programme n’a toujours pas vu le jour. Il doit normalement être géré par la fonction publique.

Craig et Marc Kielburger sur scène tiennent des micros.

Les frère Craig et Marc Kielburger sont les cofondateurs de l’organisme UNIS.

Photo : Reuters / MARIO ANZUONI

Justin Trudeau a admis par la suite qu’il aurait dû se retirer des discussions du Cabinet au sujet de ce contrat, et s’est excusé de ne pas l’avoir fait. Son ministre des Finances, Bill Morneau, a fait de même, puisque ses deux filles travaillent pour l’organisme.

Le commissaire fédéral à l’éthique, Mario Dion, enquête sur les agissements des deux hommes.

Il a été révélé par la suite que la mère et le frère de M. Trudeau ont reçu près de 300 000 $ pour participer à des événements de l’organisme.

UNIS leur a aussi remboursé, ainsi qu’à la femme du premier ministre, Sophie Grégoire Trudeau, quelque 200 000 $ pour des dépenses encourues lors de ces événements.

Le ministre Morneau a en outre annoncé la semaine dernière qu’il venait de rembourser plus de 41 000 $ à UNIS pour deux voyages qu’il a effectués avec des membres de sa famille au Kenya et en Équateur en 2017.

Plaidant l’erreur de bonne foi, il a présenté des excuses, mais cela n’a pas calmé les partis d’opposition. Le Parti conservateur et le Bloc québécois réclament maintenant sa tête, ainsi que celle de Justin Trudeau.

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