Un document de travail du ministère de la Santé et des Services sociaux, obtenu par Radio-Canada, révèle que des mesures sont envisagées pour mieux encadrer les agences de placement de tous les secteurs.

On peut y lire qu’il faut renforcer rapidement les mesures de protection pour éviter la contamination et la poursuite des éclosions dans les milieux de travail et dans la communauté.

Ces derniers mois, l’activité des agences a explosé pour combler les trous béants dans les effectifs du réseau de la santé, au fur et à mesure que les employés habituels s’absentaient.

Dans ses recommandations, la santé publique juge que l’arrêté ministériel du 15 mai pour restreindre les déplacements de personnel entre zones chaudes et zones froides n’est pas suffisant.

Au début du mois, une enquête de Radio-Canada montrait que des travailleurs précaires, souvent migrants, d’agences pas toujours en règle ont été envoyés en zone rouge sans formation adéquate, parfois sans équipement suffisant, et qu’ils ont contribué, malgré eux, à propager le virus d’un établissement à l’autre.

Les recommandations préparées par la santé publique visent à :

  • Mieux accompagner et former les travailleurs précaires;
  • Limiter le roulement et le déplacement de personnel;
  • Mieux retracer le parcours des travailleurs d’agence en cas d’éclosion;
  • Rendre imputables les entreprises clientes.

Mieux accompagner et former les travailleurs précaires

Dans son document, la santé publique note que la main-d’œuvre indépendante est majoritairement composée d’immigrants récents (45 %) et de minorités visibles (55 %) et qu’elle comprend de nombreux demandeurs d’asile.

L’enquête de Radio-Canada montrait que des travailleurs d’agence avaient caché leurs symptômes par crainte de perdre leur revenu, n’ayant pas droit à une assurance collective.

Instabilité d’emploi, salaires et prestations minimales poussent à travailler avec des symptômes de COVID-19.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux pourrait obliger les agences à assurer un suivi des symptômes pour l’ensemble de leurs travailleurs.

La santé publique recommande aussi que les entreprises clientes soient obligées d’offrir une formation adéquate en ce qui concerne la gestion de risques de la COVID-19 et le port des équipements de protection, qu’elles auraient par ailleurs l’obligation de fournir.

Le risque de lésion professionnelle dans le secteur des agences est d’environ 3,5 fois supérieur à celui des autres industries.

Limiter le roulement et le déplacement de personnel

Le gouvernement a maintes fois reconnu que la mobilité des travailleurs d’agences a favorisé la propagation du virus.

Les recommandations de la santé publique visent à mettre en place des mesures pour limiter le roulement de personnel entre les entreprises et encourager la stabilité de la main-d’œuvre au sein des entreprises clientes.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux pourrait également élargir la portée et les champs d’application de l’arrêté ministériel du 15 mai qui visait à empêcher les travailleurs d’agence susceptibles d’avoir la COVID-19 de travailler dans un établissement ou une unité pas encore touchés par le virus.

En effet, cet arrêté ne concernait que les travailleurs en santé (infirmières, infirmières auxiliaires, préposés aux bénéficiaires).

Il importe également d’évaluer les risques associés à la mobilité de la main-d’œuvre indépendante dans d’autres cadres d’emploi, notamment : services alimentaires, d’entretien ménager, de la construction et du personnel professionnel, technique et administratif.

Dans le secteur agroalimentaire, comme les abattoirs, victimes de plusieurs éclosions, les travailleurs d’agence sont souvent transportés en autobus de Montréal vers des sites en région. Ces voyages, parfois longs, créent une promiscuité propice à la transmission du nouveau coronavirus.

Les agences auraient l’obligation de prendre des mesures sanitaires pour limiter la propagation dans les autobus.

À Montréal, en dehors des établissements de santé, les agences de placement se classent au premier rang des milieux de travail où s’est produite une éclosion de COVID-19.

Sur 108 éclosions et 1050 travailleurs infectés, 18 éclosions sont survenues dans les agences, impliquant 254 travailleurs.

Mieux retracer le parcours des travailleurs d’agence en cas d’éclosion

Souvent, le nom du travailleur d’agence n’apparaît pas dans les horaires de l’établissement où il est envoyé, seulement le nom de son agence. La santé publique reconnaît que ça limite la capacité de suivre les mouvements de personnel.

Elle recommande donc de mettre en place un mécanisme informatisé centralisé pour suivre les mouvements de personnels d’agences entre établissements ou entre unités.

Les agences auraient l’obligation de transmettre les informations sur les antécédents de travail des employés dans les 14 derniers jours afin de « permettre la traçabilité des individus ayant été exposés au travail ou ayant contaminé un lieu de travail ».

71 % des agences de placement au Québec sont concentrées dans le Grand Montréal, dont 42 % sur l’île de Montréal.

Rendre les entreprises clientes imputables

Pas toujours clair de savoir qui est responsable entre une agence et une entreprise cliente, comme les CISSS et les CIUSSS. La santé publique admet que la législation n’est pas toujours claire et parfois ambiguë à ce sujet.

Il s’avère donc nécessaire d’introduire une clause attribuant l’imputabilité de l’entreprise cliente (et non de l’agence de placement) dans la protection de la santé et de la sécurité de la main-d’œuvre indépendante et le respect des directives de santé publique pour ce qui concerne la COVID-19.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux pourrait même introduire des sanctions et des pénalités pour les entreprises et leurs administrateurs en cas d’omission ou de fausse déclaration liée aux antécédents de travail et à la mobilité des travailleurs.

La santé publique mettait en garde dès 2016

Le docteur Richard Massé durant une conférence de presse.

Le Dr Richard Massé, conseiller médical stratégique à la direction générale de la santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

En 2016, la santé publique de Montréal avait produit un rapport intitulé Les travailleurs invisibles, sous la direction de Richard Massé, aujourd’hui conseiller médical stratégique à la Direction générale de la santé publique du ministère de la Santé.

Le rapport recommandait d’adapter les pratiques et les lois alors que le secteur des agences de location de personnel était en forte croissance.

Les principales conclusions du rapport de 2016 :

  • Les connaissances sur l’impact du travail précaire sur la santé sont très limitées au Québec;
  • Ces travailleurs sont régulièrement exclus des pratiques de prévention;
  • Le cadre légal de santé et sécurité au travail reste flou.

Une enquête publique réclamée

Toutes les agences de placement ne sont pas à mettre dans le même panier, soutiennent une douzaine de ces entreprises parmi les plus importantes dans le réseau de la santé, qui réclament une enquête publique afin de faire la lumière sur [des] pratiques qu’elles décrient.

L’opposition à Québec a aussi exigé un ménage dans les agences de placement en santé.

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