La loi oblige le gouvernement à rendre des comptes quand les citoyens en font la demande. Mais avec la crise actuelle, cette obligation devient quasi impossible à remplir.

Pour bien saisir l’ampleur de l’enjeu, on peut replonger dans les souvenirs tragiques de Lac-Mégantic.

Dans les semaines qui ont suivi la catastrophe ferroviaire, Transports Canada était enseveli par une avalanche de demandes d’accès à l’information.

Citoyens inquiets, groupes d’intérêts, chercheurs et journalistes demandaient des réponses à des questions souvent cruciales.

La déréglementation du transport ferroviaire avait-elle joué un rôle dans la mort de 47 innocentes victimes? Comment une compagnie, qui possédait une piètre réputation en matière de sécurité ferroviaire, avait-elle réussi à obtenir de Transports Canada l’autorisation d’exploiter des convois de pétrole avec un seul employé?

Une résidente de Lac-Mégantic le lendemain de la tragédie ferroviaire qui a fait 47 morts.

Une résidente de Lac-Mégantic le lendemain de la tragédie ferroviaire qui a fait 47 morts.

Photo : afp via getty images / AFP

Face aux centaines de demandes soumises en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, le système s’était rapidement embourbé. Transports Canada avait alors demandé des prorogations de délai qui variaient entre 300 et 365 jours. La Loi donne pourtant 30 jours aux ministères fédéraux et aux agences pour répondre aux demandeurs.

Des enquêtes de la commissaire à l’information du Canada ont démontré par la suite que dans plusieurs cas, ces retards n’étaient pas justifiés.

C’était en 2013, avant la crise pancanadienne actuelle pour laquelle tous les ministères sont mobilisés.

Un ministère fédéral était particulièrement interpellé dans le cas de Lac-Mégantic. Attendez-vous maintenant à ce que le volume de demandes soit des milliers de fois plus élevé. Tous les ministères et toutes les agences seront maintenant inondés.

Voilà maintenant un mois et demi qu’Ottawa prend des décisions à vitesse grand V dans un tourbillon incessant d’annonces.

Le gouvernement Trudeau devra tôt ou tard rendre des comptes à propos des nombreuses mesures mises en avant, des 146 milliards dépensés depuis la mi-mars et de son niveau de préparation pour affronter cette crise sanitaire.

Justin Trudeau s'adresse aux Canadiens, lors d'un de ses points de presse quotidiens.

Justin Trudeau s’adresse aux Canadiens lors d’un de ses points de presse quotidiens.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

Dans un geste qui est presque passé inaperçu, la commissaire à l’information du Canada vient d’agiter un immense drapeau rouge. Caroline Maynard a fait parvenir cette semaine une lettre au ministre responsable de la Loi sur l’accès à l’information, le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos.

Aujourd’hui, je vous écris pour vous signaler que le système d’accès à l’information […] se trouve actuellement dans une phase critique et il pourrait bientôt se trouver dans un état irréparable si certains enjeux courants et émergents demeurent non réglés.

Ce S.O.S. vient du fait que la crise est en train d’aggraver un énorme problème. Les retards qui existent déjà vont empirer, s’inquiète la commissaire. Les fonctionnaires qui travaillent à domicile ont un accès limité aux dossiers papier du gouvernement, à l’information protégée et à d’autres ressources.

Et en ces temps exceptionnels, Caroline Maynard soulève d’autres questions préoccupantes : Est-ce qu’on continue à rédiger et conserver des comptes rendus des réunions, même celles qui se font par téléconférence ou vidéoconférence? Les employés comprennent-ils bien ce que constitue “un document à valeur opérationnelle” et que ce type de document doit-être préservé?

La commissaire à l’information du Canada, Caroline Maynard

La commissaire à l’information du Canada, Caroline Maynard

Photo : AFP / Commissariat à l’information du Canada

Ce que craint la commissaire, c’est l’effondrement d’un système qui, avant même la pandémie, devait déjà composer avec un manque de ressources chronique.

Il faut savoir que les demandes d’accès à l’information adressées au gouvernement fédéral ont explosé de près de 260 % en 10 ans. On ne peut plus attendre, le gouvernement doit débloquer des fonds pour remédier aux retards attribuables à la pandémie.

Une source gouvernementale confirme qu’une rencontre doit avoir lieu la semaine prochaine entre le ministre Duclos et la commissaire : le ministre est conscient des défis et de l’importance de cet enjeu.

Ces jours-ci, des ministères fédéraux invoquent la pandémie comme la raison des retards supplémentaires dans le cas de traitement de demandes. Certaines traînent depuis trois ans et même plus. D’autres remontent même aux années du gouvernement Harper.

Ken Rubin, un résident d’Ottawa qui a maintes fois eu recours à la Loi d’accès à l’information, démontre le ridicule de la chose en citant une réponse reçue d’un ministère : malgré tous nos efforts, nous ne serons pas en mesure de répondre à votre demande dans les délais prévus par la loi”,”text”:”(…)malgré tous nos efforts, nous ne serons pas en mesure de répondre à votre demande dans les délais prévus par la loi”}}” lang=”fr”>(…) malgré tous nos efforts, nous ne serons pas en mesure de répondre à votre demande dans les délais prévus par la loi. Or, les délais ont pris fin… il y a des années.

Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), à qui il a soumis des demandes depuis des mois et parfois même des années, lui a fait parvenir cette réponse :


En raison de la pandémie du COVID-19 qui continue d’évoluer, le réseau de SPAC est présentement réservé aux services essentiels et critiques, dont la paie, les pensions et l’approvisionnement. Bien que nous soyons engagés à respecter votre droit d’accès et que nous cherchions activement des solutions pour poursuivre les opérations, nous n’avons que très peu, ou pas, de capacité en ce moment.


Par conséquent, le bureau de l’accès à l’information et protection des renseignements personnels a pris la décision de mettre en attente toutes les demandes d’accès et de renseignements personnels jusqu’à ce que la situation retourne à la normale.


Révision de la loi?

Le numéro de référence d'une demande d'accès à l'information soumise en 2019 à un ministère fedéral.

La Loi sur l’accès à l’information a été modifiée avant la dernière élection, concrétisant ainsi une promesse électorale libérale de 2015 d’améliorer le système.

Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Des experts craignent qu’un autre danger guette le système fédéral d’accès à l’information, alors que le gouvernement doit réviser la loi dans les prochains mois.

Le contexte de crise ne sera peut-être pas propice à son examen en profondeur.

La Loi sur l’accès à l’information avait été modifiée tout juste avant la dernière élection. Les changements apportés se voulaient la concrétisation de la promesse électorale libérale de 2015 d’améliorer le système.

Il y a peut-être eu certaines améliorations, mais la plupart des changements sont cosmétiques. Les demandes d’accès à l’information sont toujours retardées, retardées et retardées, tout comme les exemptions invoquées. Cela transforme tout l’objectif de la législation en une plaisanterie, n’hésite pas à dénoncer James Turk.

Dans une réponse écrite, le bureau du président du Conseil du Trésor indique que l’examen débutera en juin. Nous étudierons comment de nouveaux outils et approches pourraient être efficaces pour aider à répondre plus rapidement aux demandes.

Le directeur du Centre d’études sur la liberté d’expression de l’Université Ryerson craint que dans le contexte actuel il soit beaucoup plus difficile dans les prochains mois d’attirer l’attention sur ce qui ne fonctionne pas dans la législation.

Le président Conseil du Trésor, Jean Yves Duclos

Le président Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

En vertu de la loi, les Canadiens ont le droit d’avoir accès aux renseignements et documents gouvernementaux. Les exceptions doivent cependant être limitées et précises.

Ces jours-ci, le gouvernement fédéral ne cesse lui-même de rappeler dans ses communications que l’ouverture, la transparence et la responsabilité sont ses principes directeurs.

Mais il a du mal à fournir et la COVID-19 semble avoir le dos large pour exprimer des retards passés.

Ken Rubin, lui, frappe depuis 2014 aux portes du ministère de la Santé pour obtenir des documents sur les effets indésirables de médicaments, dont certains auraient selon lui entraîné la mort de Canadiens. Santé Canada vient de le prévenir des possibles retards dans le traitement de sa demande, en raison de la pandémie.

Combien de temps prendront les demandes qui porteront directement sur la gestion de la crise du coronavirus?

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