Le coût de l’administration municipale à Toronto n’a pas baissé comme Doug Ford le promettait lorsqu’il a amputé unilatéralement de presque de moitié la taille du conseil municipal.

Le premier ministre Ford faisait miroiter des économies de 25 millions de dollars sur quatre ans en 2018 quand il a mis son plan de l’avant, en pleine campagne électorale municipale.

Une analyse des dernières données financières de la Ville Reine révèle que la masse salariale a en effet baissé, d’environ 2,5 millions annuellement, étant donné qu’il y a 25 conseillers plutôt que les 47 prévu.

En revanche, les nouveaux élus municipaux ont doublé leurs budgets de bureau et de personnel après être entré en poste, une augmentation annuelle de 1,4 million, principalement pour embaucher plus d’assistants, parce que les arrondissements ont grossi.

Si l’on ajoute les dépenses supplémentaires des conseillers pour le « matériel, les fournitures et l’équipement », il n’y a plus d’économies du tout.

Ainsi, en 2018, le budget total du conseil était de 24,7 millions, y compris un fonds de transition de 4,1 millions. Les dépenses totales liées au conseil étaient de 20,9 millions en 2019. Cette somme doit croître à 21,9 millions en 2020, si le budget préliminaire actuellement à l’étude est approuvé par les conseillers.

Ça n’a jamais été une question d’argent. Doug Ford méprise les Torontois et c’est ce qu’il voulait montrer [en amputant le conseil municipal].

Lorsque le premier ministre Ford a sabré unilatéralement le nombre de sièges au conseil à quelques mois des élections municipales d’octobre 2018, nombre d’élus l’ont accusé de chercher à se venger, après que les conseillers eurent retiré à son frère Rob Ford la plupart de ses pouvoirs de maire en 2013.

Saga judiciaire

Toronto a contesté devant les tribunaux la refonte de la carte électorale municipale imposée par le gouvernement Ford.

John Tory et Doug Ford se parlent de façon tendue.

Le maire de Toronto John Tory (à g.) et le premier ministre Doug Ford (archives).

Photo : La Presse canadienne / Tijana Martin

La Ville a gagné la première manche, mais M. Ford a eu gain de cause en appel, après avoir menacé d’utiliser la disposition de dérogation de la Charte canadienne s’il n’était pas victorieux.

Les élections municipales de 2018 ont été disputées avec 25 arrondissements, alors que la carte électorale devait passer de 44 à 47 sièges pour le scrutin, afin de mieux refléter la croissance de la population torontoise.

Toronto demande maintenant à la Cour suprême de se pencher sur la question.

[La décision du gouvernement provincial] était inéquitable, non nécessaire et sans précédent.

On ne sait pas quand la Cour suprême annoncera si elle entendra la cause ou non.

Pour sa part, le gouvernement Ford répond qu’il cherchait à faire correspondre les frontières des arrondissements municipaux à celles des circonscriptions provinciales et fédérales.

Nous avions promis en campagne de réduire la taille et les coûts du gouvernement et de mettre fin à la culture du gaspillage et de la mauvaise gestion. C’est exactement ce que nous avons fait.

Quant aux économies que la réduction de la taille du conseil devait générer, Mme O’Driscoll affirme ceci : Nous incitons constamment les gouvernements locaux à rationaliser la gouvernance locale. Lorsque les conseillers ont doublé leur budget de bureau en décembre 2018, le ministre des Affaires municipales Steve Clark a affirmé que c’était à cause d’eux que les contribuables torontois n’auraient pas droit aux économies promises par son gouvernement.

Mme O’Driscoll ajoute que Toronto a trouvé des millions en économies ailleurs dans son budget grâce à l’aide financière fournie par le gouvernement aux municipalités pour qu’elles réalisent des audits de leurs dépenses. Ces économies ne sont pas liées toutefois à la réduction de la taille du conseil.

Des conseillers divisés

La conseillère municipale de Toronto Paula Fletcher explique que ses collègues et elle ont besoin de plus de personnel pour servir les nouveaux arrondissements qui sont presque deux fois plus populeux. C’est le double du travail, lance-t-elle.

Les conseillers se sont ainsi octroyé une augmentation de budget pour les fournitures de bureau, les communications et l’embauche d’assistants, notamment, après être entrés en poste en décembre 2018. Le nombre d’employés par élu, qui était de 3 à 4 auparavant, est maintenant de 5 à 9.

Pour Mme Fletcher, ce n’est donc « pas une surprise » si les économies promises par Doug Ford ne se sont jamais matérialisées.

Son collègue Stephen Holyday rétorque que les conseillers n’avaient pas besoin de doubler leur budget. Il a voté contre la motion à ce sujet.

Une modeste augmentation du budget de chaque conseiller aurait suffi pour avoir un peu plus de personnel de soutien, afin de desservir un secteur élargi.

Les responsabilités législatives des conseillers sont restées largement les mêmes, ajoute-t-il.

Le conseiller Perks raconte, lui, qu’il ne peut plus discuter aussi souvent avec les résidents et les commerçants de son quartier, parce qu’il doit couvrir un territoire beaucoup plus grand. J’envoie mes assistants [aux assemblées], dit-il, mais ce n’est pas comme se parler de vive voix.

Sur ce point, Stephen Holyday est d’accord. Comme le secteur à desservir est plus grand, il n’est plus capable d’assister à tous les événements et assemblées publiques auxquels il est convié dans son quartier. Comme je ne peux pas être à deux endroits en même temps, je dois parfois décliner des invitations, dit-il.

Lorsqu’un résident a un refoulement d’égout dans son sous-sol, il a besoin d’aide rapidement, renchérit la conseillère Fletcher. Je peux appeler directement [en tant que conseillère] le gestionnaire du service des eaux usées, pas mes assistants.

De son côté, le conseiller Michael Ford, le neveu du premier ministre Ford, a affirmé ne pas avoir le temps de répondre aux questions de Radio-Canada sur le sujet.

Un conseil moins « dysfonctionnel »?

En 2018, le premier ministre Ford avait justifié également sa décision de réduire la taille du conseil municipal de Toronto par le fait qu’à ses yeux, il y avait trop d’échevins qui parlaient trop longtemps et que le conseil était « dysfonctionnel ». En Ontario, il n’y a pas de partis politiques au niveau municipal.

À cet égard, les conseillers Perks et Fletcher admettent que les réunions du nouveau conseil sont moins longues. Rapidité n’est pas gage de qualité, affirme toutefois le conseiller Perks.

La salle du conseil municipal de Toronto pendant une réunion.

Le conseil municipal de Toronto compte 25 conseillers, en plus du maire John Tory.

Photo : Radio-Canada

Son collègue Stephen Holyday pense le contraire. Il affirme que le conseil est « plus efficace ».

Il ajoute que la refonte a facilité « l’accès au processus démocratique ». Un résident qui veut assister à une rencontre de son conseil d’arrondissement n’a plus besoin de perdre une journée à cet effet, dit-il.

Pour le politologue Greg Flynn de l’Université McMaster de Hamilton, la réduction de la taille du conseil de Toronto constitue au contraire un « appauvrissement de la démocratie », même si la plupart des résidents n’en ressentiront pas les effets, selon lui.

On oublie que les élus ne sont pas là uniquement pour approuver des motions. Ils sont aussi là pour nous représenter.

Parmi les dix plus grandes villes au pays, Toronto est maintenant celle où chaque conseiller représente le plus grand nombre de résidents, soit environ 105 000 par élu.

À l’opposé, chacun des conseillers à Montréal représente environ 16 500 habitants.

Malgré cette situation, le professeur Flynn pense que la Cour suprême se rangera « probablement » du côté du gouvernement Ford plutôt que de Toronto, si elle accepte d’entendre le recours de la Ville, car les municipalités sont des créatures des provinces au sens de la loi, et sont donc assujetties aux décisions des gouvernements provinciaux.

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