Déjà stressés par des délais de traitement qui n’en finissent plus de s’allonger, des milliers d’immigrants en attente d’une résidence permanente depuis parfois plus d’un an s’inquiètent de n’avoir reçu aucun accusé de réception des autorités fédérales. Dénonçant un « manque de transparence », ces travailleurs vivant au Québec craignent maintenant que leur dossier ne soit perdu ou ne croupisse quelque part dans leur enveloppe au centre de traitement situé en Nouvelle-Écosse.

« On voudrait juste avoir la confirmation que notre dossier a été reçu et qu’il n’y a pas d’éléments manquants », explique Valentine Clary, qui réside depuis sept ans à Montréal et qui a déposé une demande de résidence permanente avec son conjoint il y a plus de 15 mois.

Ne mettant généralement pas plus de deux ou trois mois à arriver, l’accusé de réception est une preuve écrite qu’un dossier a été vérifié et qu’il contient tous les documents et les signatures exigés pour être mis dans la pile et être traité par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). C’est aussi une preuve précieuse qui permet de demander une couverture à la RAMQ ou de maintenir en vigueur un Certificat de sélection du Québec (CSQ), en cas d’expiration.

Mme Clary a très peur de retourner malgré elle à la case départ. « J’ai peur de me faire renvoyer mon dossier parce qu’il manque quelque chose et de ne plus avoir aucun recours pour continuer à rester ici », explique cette Française d’origine, qui travaille dans le domaine de l’intelligence artificielle. « Ce n’est pas une question de délai. Personnellement, ça ne me dérangerait pas que le traitement prenne encore quatre ans, du moment que je sais que mon dossier va être étudié et ne me sera pas renvoyé. »

Des milliers de vies en suspens

Avec d’autres de ses compatriotes dans la même situation qu’elle, Valentine Clary administre un groupe Facebook de plus de 1500 personnes qui réclament toutes cet accusé de réception. Mais elles seraient beaucoup plus nombreuses en réalité.

Surtout originaires de pays francophones, comme la France, ces personnes, qui sont au Québec depuis plusieurs années, œuvrent comme ingénieurs, architectes ou dans d’autres professions qualifiées et ont toutes postulé à la résidence permanente par l’entremise du Programme des travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec.

Pour ces gens, tous ces dossiers demeurés sans réponse sont autant de projets de vie en suspens. « Ce que nous demande IRCC en ce moment, c’est de mettre nos vies sur pause », déplore Amandine Lafitte, une Française arrivée au Québec il y a six ans avec son conjoint. Le couple, qui avait prévu de se marier auprès de ses proches en 2021, a maintenant mis ce projet en veilleuse. Leur couverture de RAMQ l’est aussi. Et impossible de sortir du pays. « Mon dossier a été déposé il y a déjà 15 mois et, depuis, je n’ai aucune preuve qu’il va être traité », dit-elle, en craignant que son dossier ne lui revienne avec la mention « incomplet » après l’expiration de son CSQ.

 J’ai peur de me faire renvoyer mon dossier parce qu’il manque quelque chose et de ne plus avoir aucun recours pour continuer à rester ici

— Valentine Clary

Élodie Boonefaes estime aussi sa vie « bloquée » par ce silence radio d’IRCC. « Si, pour une démarche quelconque, on me demande de justifier que j’ai fait une demande de résidence permanente, je ne peux pas », dit-elle. Elle craint que son dossier ne lui revienne avec la mention « incomplet » après l’expiration de son CSQ, ce qui lui ferait perdre ce dernier.

Pour Louise Mazauric, une architecte qui vit depuis sept ans au Québec, le gouvernement fédéral pourrait faire preuve d’un peu plus d’égards. « J’aimerais au moins une confirmation que je suis “dans la boucle” et que je n’ai pas dépensé tout cet argent pourrien », dit la jeune femme d’origine française qui n’a pas reçu d’accusé de réception pour son dossier déposé il y a un an.

Une raison politique ?

Les membres du groupe Facebook à qui Le Devoir a parlé n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts pour savoir où en était leur dossier : courriels et appels répétés à IRCC, demandes d’accès à l’information, appels aux cabinets des ministres de l’Immigration ou à leurs députés au provincial et au fédéral. Au mieux, certains immigrants ont obtenu un numéro « XEP », qui signifie qu’IRCC a bien reçu leur enveloppe, mais cela n’est pas une garantie que le dossier a été vérifié.

Pourquoi cette absence d’accusé de réception pour les travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec qui demandent la résidence permanente ? Et combien de dossiers dorment toujours dans leur enveloppe ? IRCC n’a pas répondu aux questions du Devoir dans les délais impartis.

Photo: Valérian Mazataud Le DevoirLouise Mazauric, une architecte d’origine française qui vit depuis sept ans au Québec, n’a pas reçu d’accusé de réception pour son dossier déposé il y a un an.

L’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI) a quant à elle fait ses propres démarches auprès des hauts fonctionnaires d’Immigration Canada, mais n’a réussi qu’à obtenir le nombre de demandes qui sont en traitement, soit 27 000. Un chiffre énorme selon David Chalk, un avocat en immigration impliqué dans l’AQAADI. « Honnêtement, j’étais si étonné de ce nombre que j’ai dû demander s’il s’agissait bel et bien de « dossiers » et non de « personnes » [visées par ces dossiers]. »

Selon lui, le gouvernement provincial de la Coalition avenir Québec ayant diminué ses quotas de 20 %, le gouvernement fédéral aurait rapidement atteint les cibles à l’été 2019 et cessé de traiter de nouveaux dossiers. « Donc tous les dossiers arrivés après juillet 2019 sont restés dans leur enveloppe et n’ont pas été traités. Les gens n’ont donc pas pu obtenir d’accusé de réception », affirme-t-il. Cette information n’a pu être corroborée auprès des deux ministères de l’Immigration, mais plusieurs membres du groupe Facebook disent avoir reçu des explications similaires de la part de leurs députés fédéraux.

La faute de la COVID-19

Le traitement aurait quelque peu repris, mais la pandémie nuirait au processus. La COVID-19 a toutefois le dos large, estime Me Chalk, qui ne croit pas à cette excuse désormais donnée par IRCC pour expliquer les délais et l’absence d’accusés de réception. Les cas actifs se comptent sur les doigts d’une main en Nouvelle-Écosse, rappelle-t-il.

Il exhorte le gouvernement fédéral à s’engager à ne pas retourner les dossiers incomplets qu’il finira par ouvrir, mais demande qu’il octroie plutôt un délai pour fournir les pièces manquantes. Ainsi, les gens ne perdraient pas leur place dans la file. « Il ne faudrait pas que les gens en attente d’un accusé de réception subissent les conséquences de la lenteur du traitement en Nouvelle-Écosse »,dit-il. « Au lieu de traiter les demandes de résidence permanente venant de l’étranger, il faudrait donner la priorité à celles provenant de gens qui sont déjà au Québec. »