L’accès à un médecin de famille est loin de s’améliorer au Québec, constate la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, dans son rapport déposé ce matin l’Assemblée nationale.

Le nombre de personnes inscrites sur la liste du guichet d’accès aux médecins de famille (GAMF) a fait un bond de 41 %, depuis mars 2017.

Au cours des trois dernières années, la liste d’attente pour un médecin de famille est passée de 423 215 patients à 597 484, d’après les données compilées dans le rapport de Mme Leclerc.

Les délais pour être pris en charge par un médecin ont quant à eux doublé au cours de la même période, à tel point qu’en décembre 2019 ils atteignaient en moyenne 477 jours d’attente.

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Guylaine Leclerc s'adresse aux journalistes.

Accès aux médecins de famille : entrevue avec Guylaine Leclerc

Photo : Radio-Canada

Plus inquiétant encore, selon la vérificatrice, le délai d’inscription pour les personnes vulnérables est quant à lui passé de 237 à 367 jours, alors que le délai souhaité est d’au maximum trois semaines, souligne-t-elle dans son rapport.

Et la situation ne s’annonce pas meilleure pour les années à venir dans la mesure où le nombre de personnes vulnérables qui attendent un médecin de famille continue d’augmenter rapidement au Québec. En trois ans, leur nombre a augmenté de 73 %, peut-on lire dans le rapport.

Selon l’analyse de la vérificatrice, de telles listes d’attente ont un effet domino sur le réseau de la santé, puisque les médecins de famille représentent la porte d’entrée dans le réseau, rappelle Mme Leclerc. À défaut de pouvoir consulter leur médecin de famille, des milliers de Québécois sont contraints de se rendre dans les urgences des hôpitaux pour être vus, contribuant par le fait même aux problèmes d’engorgement des urgences.

L’inscription n’est pas une garantie de la disponibilité des médecins de famille pour rencontrer les patients lorsqu’ils en ont besoin.

Sur les 2,5 millions de visites ambulatoires qui ont eu lieu au Québec en 2018-2019, c’est-à-dire des visites à l’urgence où les patients n’occupent pas de civières, 71 % des cas ont été jugés moins urgents ou non urgents.

Or, près des trois quarts de ces patients avaient pourtant un médecin de famille, souligne Guylaine Leclerc. Ce qui soulève, selon elle, d’importantes questions sur l’accessibilité et la disponibilité des omnipraticiens québécois.

Départs à la retraite

Un des facteurs qui explique, à ses yeux, l’augmentation des délais pour obtenir un médecin est le départ à la retraite de beaucoup de médecins de famille.

En mars 2019, 80 000 Québécois se trouvaient sur la liste d’attente parce qu’ils n’avaient plus accès à leur médecin en raison de son départ à la retraite.

Une salle d'examen dans une clinique médicale.

Beaucoup de patients ont perdu leur médecin de famille en raison des départs à la retraite.

Photo : Getty Images / Jim Still-Pepper

Pour tenter de réduire les délais, le gouvernement a mis en place au fil des années toute une série de mesures incitatives sous forme de forfaits pour favoriser la prise en charge des patients.

Malgré les 345 millions de dollars investis l’an dernier, force est de constater que les incitatifs n’ont pas atteint les objectifs escomptés. Ce qui porte à près de 1 milliard de dollars les sommes consacrées par Québec entre 2016 et 2019 pour inciter les médecins de famille à prendre plus de patients.

D’ailleurs, malgré ces investissements, le ministère de la Santé et des Services sociaux ne dispose pas de données significatives pour évaluer l’impact des mesures en place, souligne également le rapport de la vérificatrice.

Depuis l’adoption de la loi 20 par le gouvernement de Philippe Couillard en 2015, le nombre de Québécois ayant accès à un médecin de famille est passé de 71 % à 82 %, mais dans les faits, souligne Guylaine Leclerc, le fait d’être relié administrativement à un médecin ne signifie pas que ce dernier est en mesure de voir plus de patients et de surcroît au moment où ils en ont besoin, souligne-t-elle dans son rapport.

Seuls 6 % des médecins de famille adhèrent au guichet Rendez-vous santé Québec, qui aurait permis au gouvernement, note-t-elle, d’avoir une idée des délais entre le moment où le patient réclame une consultation avec son médecin et le moment où il l’obtient.

Le guichet des garderies pas plus efficace

Des enfants font de l'exercice dans une garderie.

Les parents de 30 000 enfants ont obtenu une place subventionnée en garderie en contournant le guichet La Place 0-5.

Photo : iStock

Soulignant que le ministère de la Famille n’atteint pas non plus ses objectifs de création de places subventionnées depuis plusieurs années, la vérificatrice générale a déclaré qu’en février 2020 près de la moitié des places autorisées n’étaient toujours pas réalisées.

En date du 28 novembre 2019, 46 000 enfants étaient en attente d’une place subventionnée sur le guichet La Place 0-5. Ce à quoi il faut ajouter 9000 autres enfants du réseau privé dont les parents espèrent une place en CPE.

La vérificatrice générale souligne également dans son rapport l’inefficacité du guichet unique créé par Québec pour l’attribution des places subventionnées en garderie. L’un des problèmes, d’après elle, est qu’il n’y a pas d’obligation légale de recourir à ce guichet pour les garderies, si bien que 30 000 places ont été octroyées à des enfants non inscrits sur la liste.

Malgré un investissement annuel de 2,4 milliards de dollars depuis l’exercice financier 2014-2015, le ministère de la Famille n’est pas parvenu à remplir ses engagements quant au développement et l’encadrement du réseau des services de garde en vue d’en assurer son accessibilité.

En termes d’égalité des chances, le rapport de la vérificatrice fait état d’un déséquilibre dans la répartition des places et des services, qui varient d’une région administrative à l’autre.

Pour les régions de Laval et de Montréal, où les besoins sont importants, les places subventionnées y sont en proportion moins nombreuses, note Mme Leclerc. Dans ces régions, les quartiers défavorisés ont d’ailleurs une proportion moins élevée de places en CPE que les secteurs mieux nantis.

Manque de contrôle financier d’AccèsLogis Québec

Outre les listes d’attente pour des médecins et des places en garderies, le bureau de la vérificatrice s’est aussi penché sur les performances et la gestion du programme AccèsLogis créé par Québec en 1997 pour offrir aux ménages qui en ont besoin des logements sociaux à prix abordable.

Depuis sa création, la Société d’habitation du Québec (SHQ) a octroyé 2 milliards de dollars en subventions et 2 milliards de plus en garanties de prêts par le biais d’Accès Logis à divers organismes.

Or, selon Mme Leclerc, la SHQ ne s’acquitte pas pleinement de ses responsabilités à l’égard de ce programme en n’ayant prévu aucune stratégie pour s’assurer de l’utilisation de ces fonds de façon à maximiser l’aide aux ménages dans le besoin.

Alors que les coûts de réalisation des projets sont en hausse, la SHQ n’exerce pas le contrôle financier approprié lors de l’évaluation des projets afin de s’assurer que les fonds disponibles seront utilisés judicieusement.

La SHQ n’encadrerait pas ailleurs pas adéquatement les ressources techniques et les promoteurs afin de s’assurer de leur intégrité et de leur indépendance.

Le RENIR, un gouffre financier?

Des radios posées sur une table.

Le RENIR vise à réunir sur un même réseau tous les intervenants de la sécurité publique et civile.

Photo : Radio-Canada / Daniel Coulombe

Le dernier audit de performance réalisé par la vérificatrice générale dans le cadre de ce rapport portait sur les délais importants et les dépassements de coûts liés au développement du Réseau national intégré de radiocommunication (RENIR).

À l’origine, le RENIR devait regrouper les intervenants de la sécurité publique et civile sur un seul et même réseau de communication.

Plus de 15 années après la mise en oeuvre du projet et 350 millions de dollars plus tard, le système de communication radio destiné aux services d’urgence du Québec serait, à en croire la vérificatrice générale, sous exploité en raison notamment de retard dans son implantation.

Au 31 mars 2020, ce sont près de 25 000 intervenants d’urgence qui n’utilisent pas le RENIR, soit 78 % de tous les intervenants d’urgence au Québec.

Après toutes ces années, les policiers de la Sûreté du Québec n’ont en effet toujours pas accès à ce réseau pour leurs communications vocales, et des utilisateurs potentiels du réseau n’y ont par ailleurs jamais adhéré.

Pire encore, constate Mme Leclerc, le gouvernement devra encore verser de l’argent dans le projet pour terminer l’implantation du RENIR à la Sûreté du Québec.

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