En tant que premier ministre, Blaine Higgs a parfois déformé ou confondu des réalités juridiques.

Quelques jours avant un vote de confiance qui renverserait le gouvernement libéral de Brian Gallant en 2018, un débat a éclaté à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. C’est qu’il existe une exigence légale stipulant qu’au moins un travailleur paramédical par équipe d’ambulance soit bilingue.

M. Higgs, impatient de remédier à une pénurie de personnel à Ambulance Nouveau-Brunswick, insistait pour que la province règle d’abord ce problème et s’occupe ensuite du droit à un service bilingue.

Mais lorsque des journalistes lui ont demandé ce qu’il ferait si, en tant que premier ministre, on lui disait qu’il ne pouvait pas contourner la Constitution et une ordonnance judiciaire, il est devenu nerveux.

Je ne vais pas emprunter de chemin hasardeux, avait-il répondu. Il semble que lorsque je donne mon avis, je me suis mis les pieds dans le plat à plusieurs reprises, donc je ne le donnerai pas.

Quelques jours plus tard, le chef du Parti progressiste-conservateur a déclaré aux journalistes qu’il avait obtenu une interprétation juridique qui appuyait son point de vue, soit qu’une solution au manque de personnel pourrait être priorisée avant le bilinguisme.

Nous pouvons fournir cela pour que vous puissiez le lire , avait-il dit, bien qu’il ne l’ait jamais fait.

Blaine Higgs en conférence de presse devant la résidence de la lieutnante-gouverneure du Nouveau-Brunswick.

Le premier ministre sortant Blain Higgs annonçait le 17 août que des élections générales auraient lieu le 14 septembre prochain.

Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Hugues

Une scène similaire s’est déroulée le lundi 17 août, au premier jour de la campagne électorale provinciale.

Blaine Higgs a déclaré que son gouvernement aurait le pouvoir, en vertu de l’état d’urgence, d’arrêter la campagne en cas d’éclosion majeure de COVID-19.

Cela contredit la directrice générale des élections, Kim Poffenroth, qui a affirmé par l’intermédiaire d’un porte-parole qu’elle ne sait pas sous quelle autorité le premier ministre pourrait suspendre une élection.

Deux jours plus tard, les progressistes-conservateurs ont indiqué que M. Higgs avait reçu un avis juridique confirmant son point de vue, mais qu’il était confidentiel.

Kimberly Poffenroth assise à un bureau devant une affiche d'Élections NB.

La directrice générale des élections au Nouveau-Brunswick, Kimberly Poffenroth, en 2018

Photo : La Presse canadienne / Kevin Bissett

Peu de valeur à argumenter

Blaine Higgs a dit lundi qu’il imaginait qu’il aurait ce pouvoir grâce à l’état d’urgence de la province, mais qu’il n’a pas été chercher une telle confirmation avant de déclencher des élections.

En écho à son exaspération de 2018 face aux questions sur les ambulanciers bilingues, il a déclaré aux journalistes qu’il ne servait à rien d’en discuter davantage.

Nous pouvons émettre des hypothèses sur toutes sortes de choses qui se produisent… Je ne vois pas grand intérêt à argumenter sur la manière dont nous protégeons les individus lorsque nécessaire.

Ces deux épisodes sont notables parce qu’ils montrent un premier ministre réputé pour ses solides compétences en gestion, avec le souci du détail, qui émet des commentaires confus sur les réalités juridiques et constitutionnelles.

Il existe de nombreux autres exemples où le chef de parti a tenu des propos incorrects ou contradictoires à l’interprétation d’experts.

Les propos tenus ne semblent jamais délibérés et la situation ressemble souvent plus à un leader politique qui souhaite que certains faits existent, ou plutôt, qui est impatient avec les lois qui le ralentissent.

Personne n’a raison tout le temps, malgré tous ses efforts, a répondu la porte-parole de la campagne, Nicolle Carlin, dans un courriel. Le premier ministre n’induirait jamais intentionnellement le public en erreur.

Le droit de Brian Gallant de tenter de gouverner

Le soir de l’élection de 2018, lorsque les progressistes-conservateurs ont remporté 22 sièges contre 21 pour les libéraux, Blaine Higgs a déclaré que celui qui avait le plus grand nombre l’emportait.

Mais c’était faux : en vertu d’une convention parlementaire, le premier ministre libéral Brian Gallant avait le droit de rappeler l’Assemblée législative et d’essayer de détenir le pouvoir en gagnant l’appui d’autres partis.

Après que le chef libéral eut essayé et échoué, et que Blaine Higgs est devenu premier ministre, ce dernier a admis qu’il avait été impatient avec la tradition parlementaire, mais a finalement accepté sa légitimité.

Le système a fonctionné, a-t-il déclaré.

En soulignant au détour que les progressistes-conservateurs avaient remporté plus de sièges, Nicolle Carlin a précisé que le premier ministre avait obtenu les conseils d’un expert constitutionnel le soir des élections.

Le premier ministre a supposé que Brian Gallant ferait la chose honorable et concéderait la victoire. Il a été surpris que cela ne se produise pas, mais il existe en effet un mécanisme qui permettait aux libéraux d’essayer de conserver le pouvoir.

Exigences bilingues pour les ambulanciers

Comme premier ministre, Blaine Higgs a continué d’insister sur le fait qu’il y avait un moyen de pourvoir des postes d’ambulancier vacants en diminuant les exigences de bilinguisme. Son gouvernement a annoncé un tel plan en décembre 2018.

Des paramédicaux installent un blessé dans une ambulance.

Des paramédicaux installent un blessé dans une ambulance, à Saint-Quentin (archives).

Photo : Radio-Canada / Catherine Allard

Il s’appuyait sur une décision de l’arbitre John McEvoy de la Commission du travail qui suggérait de renoncer à l’exigence dans certaines régions.

Lors d’une audience de révision judiciaire sur la décision McEvoy, les avocats du gouvernement ont fait valoir qu’elle était inconstitutionnelle et qu’elle devrait être annulée. Le juge a accepté.

En janvier dernier, Blaine Higgs a songé à réduire le nombre de députés à l’Assemblée législative pour permettre une prise de décision plus rapide.

Lorsque questionné sur l’idée, il a dit que la Commission sur la délimitation des circonscriptions électorales déterminerait le nombre la prochaine fois qu’elle révisera les limites des circonscriptions.

En fait, le nombre de circonscriptions, 49 pour l’instant, est fixe selon la Loi sur la délimitation des circonscriptions électorales et la représentation. Il reviendrait donc au gouvernement de changer ce nombre, et non pas à la commission.

Des émissions de gaz à effet de serre… en Chine

Au même moment, le premier ministre sortant a déclaré que l’usine de transformation de fer proposée par Maritime Iron à Belledune pourrait aller de l’avant, en raison des réductions de gaz à effet de serre attendus en Chine.

Schéma des bâtiments de l'usine de Maritime Iron à Belledune.

Plan des bâtiments de l’usine de Maritime Iron à Belledune.

Photo : Maritime Iron

Le plan de Belledune aurait dépassé les objectifs de réduction des émissions du Nouveau-Brunswick, mais Blaine Higgs a accepté l’argument de la compagnie selon lequel une usine ici remplacerait le traitement du fer en Chine, réduisant ainsi les émissions mondiales.

Il a déclaré, à tort, que le gouvernement fédéral avait déjà accordé à une usine de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique une exemption des plafonds d’émissions fondés sur des réductions à l’étranger.

Il a ensuite reconnu que de telles exemptions ne sont pas possibles sans un traité international, qui n’existe pas encore.

L’art de résoudre des problèmes

Blaine Higgs est ingénieur en mécanique et Mohamed Elmasry, professeur émérite d’ingénierie à l’Université de Waterloo, affirme que les gens de la profession sont bien placés pour gérer des défis comme la COVID-19.

Vous identifiez exactement le problème, vous devez l’articuler… et ensuite vous devez faire vos devoirs, trouver les contraintes, comment le résoudre, le temps nécessaire pour le résoudre et combien d’argent il faut pour le résoudre.

Mais il dit que l’un des inconvénients d’être ingénieur peut être une méconnaissance des nuances juridiques, constitutionnelles et politiques.

Il devrait connaître les lois. Cela fait partie des contraintes avec lesquelles il doit travailler.

Mohamed Elmasry parle à la caméra lors d'un entretien sur Zoom.

Mohamed Elmasry, professeur émérite d’ingénierie à l’Université de Waterloo, affirme que les ingénieurs mécaniques sont bien formés pour gérer des défis comme le COVID-19.

Photo : Jacques Poitras

Même si cela peut retarder une décision, Blaine Higgs doit consulter et écouter des conseils juridiques, ajoute le professeur, afin de simplifier les choses pour lui et comprendre les contraintes juridiques dans lesquelles il doit travailler. Mais il peut surmonter cela.

Sa porte-parole de campagne, Nicolle Carlin, a déclaré par courriel que c’est ce qu’il avait fait.

Cela démontre qu’il est prêt à admettre quand il a tort et à changer de cap lorsque c’est dans le meilleur intérêt du Nouveau-Brunswick.

Un autre hic

Il y a un autre problème dans l’affirmation de Blaine Higgs cette semaine sur le pouvoir légal d’interrompre une élection.

Nicolle Carlin a déclaré mercredi qu’un avis juridique reçu par M. Higgs confirmait qu’il est possible d’annuler une élection selon la Loi sur les mesures d’urgence. Elle ne spécifiait pas qui exactement aurait ce pouvoir.

Il est vrai que cette loi donne au gouvernement des pouvoirs étendus grâce à l’état d’urgence déclenché en raison de la pandémie.

Mais le ministre de la Sécurité publique Carl Urquhart doit renouveler et signer l’état d’urgence toutes les deux semaines, et Blaine Higgs a déclaré lundi que les ministres démissionnaient pendant une campagne électorale.

Si cela c’était avéré, il n’y aurait pas eu de ministre de la Sécurité publique lors de l’expiration de l’ordre actuel le 3 septembre, donc aucun pouvoir conféré par l’état d’urgence.

Heureusement pour M. Higgs, les ministres restent en fait en postes pendant une campagne.

Avec les renseignements de Jacques Poitras

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