Les projections d’un déficit ontarien de 38,5 milliards de dollars en 2020, annoncées dans l’énoncé économique de mardi, n’ont surpris personne. Pour les analystes, il est cependant encore tôt pour prédire comment le gouvernement Ford, élu en partie pour assainir les finances de la province, réagira après la crise.

Les économistes du pays s’attendaient à ce que les dépenses des gouvernements augmentent et que les revenus baissent de façon assez dramatique, commente d’entrée de jeu Robert Hogue. L’économiste principal de la Banque Royale estime qu’à court terme, la priorité va continuer d’être la santé publique.

Je pense qu’il ne faut pas s’attendre à de très grandes différences en terme de politiques d’ici la fin de l’année financière 2020.

Pour Alexandre Laurin, directeur de recherche à l’Institut C. D. Howe, un groupe de réflexion de politique économique basé à Toronto, il est normal de voir de telles dépenses lors des récessions économiques. C’est quand l’économie va mieux que l’on peut tenter de retrouver une balance budgétaire.

Robert Hogue, économiste principal à la Banque Royale

Robert Hogue, économiste principal à la Banque Royale

Photo : Radio-Canada

M. Hogue estime que ce sera dans les années à venir que le gouvernement tentera de rectifier le tir du côté du déficit.

Difficile cependant, pour lui et d’autres économistes de dire quand la crise sera finie, quelle sera l’ampleur de la reprise, et ces deux critères feront la différence, s’accordent-t-ils.

Doit-on s’attendre à des coupes après la crise?

Il y a deux scénarios possibles, estime la professeure adjointe au département de science politique au Collège militaire royal du Canada à Kingston, Stéphanie Chouinard. Soit le gouvernement va se reposer sur l’inhabituel de la situation pour excuser ce déficit-là, dit-elle, ou bien on va revenir à un discours beaucoup plus radical où on retrouvera le Doug Ford de la campagne électorale de 2018.

J’oserais croire que le gouvernement a appris de ses deux premières années au pouvoir. Lorsqu’il a tenté de faire des coupes trop drastiques, la population s’est braquée assez rapidement.

Stéphanie Chouinard en entrevue Skype.

Stéphanie Chouinard est professeure adjointe au département de science politique au Collège militaire royal du Canada à Kingston

Photo : Radio-Canada

La crise économique actuelle a deux composantes : une cyclique, liée au coronavirus et ses conséquences, et l’autre structurelle, présente avant la pandémie, explique le professeur d’économie au Collège universitaire Glendon, Nicolas-Guillaume Martineau.

Si la reprise économique est forte et rapide, le gouvernement pourrait s’en servir pour assainir les finances publiques et éviter les mesures d’austérité, juge M. Laurin.

Si elle ne l’est pas, le gouvernement pourrait chercher à freiner la croissance des dépenses de programmes, voire dans certains cas les réduire, comme il l’avait fait avant la pandémie, soutient M. Martineau.

Le gouvernement peut-il encore tenir sa promesse de ne pas augmenter les taxes?

Si la province choisit de ne pas couper dans ses dépenses, elle doit augmenter ses recettes.

À ce stade-ci, il est encore prématuré de spéculer sur la façon dont le gouvernement va procéder, selon M. Hogue. La réponse figurera probablement dans le budget 2021 du gouvernement, selon lui.

Les trois économistes s’accordent pour dire que le premier ministre ontarien pourrait encore tenir sa promesse électorale. C’est encore une fois l’ampleur de la reprise qui devrait dicter ses décisions, selon eux.

Un homme en entrevue à la caméra.

Nicolas-Guillaume Martineau, professeur d’économie au Collège universitaire Glendon

Photo : Maxime Beauchemin

Une reprise plus lente ou plus faible fera durer le déficit des finances publiques. Dans [ce cas], le gouvernement pourrait se voir forcé d’augmenter taxes et impôts, analyse le professeur du Collège universitaire Glendon. Mais probablement après l’échéance électorale et donc à plus moyen terme, ajoute-t-il.

Pour M. Hogue, le plan idéal passera par une approche mesurée, pragmatique et équilibrée.

La crise va-t-elle changer la vision que les gens ont du déficit?

Selon les analystes, les gouvernements se doivent de soutenir l’économie en temps de récession, c’est pourquoi les réponses des gouvernements, incluant celui de l’Ontario, sont normales et nécessaires dans les temps actuels.

Cela pourrait de nouveau normaliser l’idée que des déficits importants sont nécessaires en temps de crise, commente toutefois M. Martineau.

Pour Alexandre Laurin, le changement des mentalités n’est pas attribuable qu’à la COVID-19. Le taux d’intérêt sur les obligations gouvernementales, ça fait 25 ans qu’il diminue. (…) Il est tellement bas aujourd’hui que le déficit ne coûte pratiquement rien, avance-t-il, ce qui rend le déficit plus abordable et parfois plus acceptable aux yeux du public.

La crise a-t-elle affaibli ou renforcé le gouvernement progressiste-conservateur?

Ford dit que ce n’est pas possible [de le faire] d’ici 2022″,”text”:”Malgré le fait qu’en 2018 ce gouvernement-là avait gagné une majorité avec un mandat de revenir vers l’équilibre budgétaire, je crois que la population est assez raisonnable et va comprendre si M.Ford dit que ce n’est pas possible [de le faire] d’ici 2022″}}” lang=”fr”>Malgré le fait qu’en 2018, ce gouvernement-là a gagné une majorité avec un mandat de revenir vers l’équilibre budgétaire, je crois que la population est assez raisonnable et va comprendre si M. Ford dit que ce n’est pas possible [de le faire] d’ici 2022, estime Mme Chouinard.

Certaines dépenses, comme celles récemment annoncées pour la rentrée scolaire, sont même arrivées trop tard et compteront parmi le bilan négatif du gouvernement Ford, selon elle.

Par ailleurs, c’est surtout son plan de redressement économique qui va beaucoup peser dans la balance, selon la politologue. Il va y avoir des enjeux névralgiques entre aujourd’hui et la sortie de crise, et la rentrée scolaire en est un en particulier, où il devra jouer stratégique, conclut-elle.

Add Your Comment