À Rimouski, la co-propriétaire du restaurant Chez Germaine a été prise de court par la nouvelle du déconfinement de son secteur d’activité, le 8 juin. Ça ne nous a pas donné beaucoup de temps entre le moment où ça a été annoncé et notre ouverture [le 15 juin], a déploré Frédérique Bélanger.

Depuis quand le gouvernement avait-il l’aval de la santé publique pour rouvrir les restaurants? Et les autres secteurs? Impossible de le savoir. La santé publique nous renvoie vers le ministère de la Santé, qui refuse de le dire.

Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de répondre à votre question, indique le ministère.

Dès que la santé publique donne son feu vert, c’est-à-dire qu’elle juge acceptable, selon l’évolution de la situation, la réouverture de certains secteurs, l’annonce publique est faite dès que possible par le gouvernement après la prise de cette décision, souvent lors des points de presse qui étaient quotidiens jusqu’à tout récemment, explique la porte-parole du ministère Marie-Hélène Émond.

Nous ne sommes pas en mesure de départager ou d’identifier avec précision la date d’un feu vert de la date de l’annonce publique.

Pourtant, selon nos informations, le feu vert pour la réouverture des restaurants avait été donné plusieurs jours avant au gouvernement, et pour les campings, près d’une semaine plus tôt.

Le 27 mai, le jour de l’annonce du déconfinement des campings, une journaliste avait demandé au directeur national de la santé publique Horacio Arruda : Lorsque vous donnez une autorisation de déconfinement d’un secteur en particulier, est-ce que l’annonce en est faite automatiquement? C’est-à-dire est-ce que vous laissez le champ libre au gouvernement pour décider du moment des annonces de déconfinement?

Horacio Arruda avait répondu : Habituellement, les annonces de déconfinement sont discutées le matin même ou validées le soir pour une annonce le lendemain matin.

Ça traîne rarement, une fois qu’on a l’autorisation, avait renchéri le premier ministre François Legault.

Face à cette apparente contradiction entre nos informations et les propos des autorités, nous avons relancé le ministère de la Santé.

La porte-parole Marie-Hélène Émond admet qu’il est possible de dire que la plupart des décisions de déconfinement prises par la santé publique l’ont été de quelques jours à environ une semaine avant la date de l’annonce publique, en fonction de la situation épidémiologique en cours, et ce, avec une constante analyse de l’évolution de la pandémie au Québec.

Des annonces au compte-gouttes ?

Ils marchent, masqués, dans un couloir de l'Assemblée nationale.

Le premier ministre François Legault, la ministre de la Santé Danielle McCann et le Dr Horacio Arruda.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

On est passé d’une crise sanitaire à une crise politique et économique et donc communicationnelle, pense le professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, Benoit Duguay.

Selon lui, le gouvernement a pu volontairement espacer les annonces de déconfinement pour occuper l’espace médiatique.

Le cycle des nouvelles est très court, alors si on annonce tout la même journée, on n’entendra plus parler du gouvernement le reste de la semaine, explique-t-il.

Si on annonce tout au compte-gouttes, il y a quelque chose de positif à chaque jour.

Dans le tableau situé à la fin de cet article, on remarque que, depuis la mi-mai, rares sont les conférences de presse quotidiennes du gouvernement qui n’ont pas fait l’objet d’une annonce d’un déconfinement.

Nous ne déconfinons pas pour faire de belles annonces.

Toutes nos décisions sont prises dans l’intérêt et le bien-être des Québécois et elles obtiennent le sceau d’approbation de la Santé publique, indique par courriel l’attaché de presse du premier ministre, Ewan Sauves.

Il rappelle qu’il faut prendre le temps de préparer les guides sanitaires, de les soumettre aux partenaires et acteurs impliqués, d’assurer que toutes les précautions sont prises et prêtes pour déploiement.

Il faut comprendre que certains secteurs présentent des défis plus grands lorsque vient le temps de les ouvrir. Ce qui explique que certaines annonces peuvent survenir plus rapidement une fois le feu vert de la Santé publique obtenu, d’autres non.

Le rôle de la firme McKinsey dans le plan de déconfinement

Le gouvernement du Québec et la santé publique n’ont pas travaillé seuls pour préparer le déconfinement de la province.

Le Conseil exécutif, le ministère de François Legault, a conclu un contrat de gré à gré de 1,7 million de dollars avec la firme de consultants McKinsey.

Selon le Système électronique d’appels d’offres, le mandat de la firme privée consistait à la Mise en place d’une méthodologie pour opérationnaliser les décisions entourant la levée des mesures de ralentissement de la pandémie COVID-19.

Invité à clarifier, le porte-parole du Conseil exécutif, Antoine Tousignant, précise que cette méthodologie comprenait une modélisation de données visant la préparation de scénarios de retour graduel à la normale des activités.

Le gouvernement explique que les services de McKinsey étaient complémentaires à l’expertise des employés de l’État et s’inspiraient des expériences d’autres pays.

Notre travail sur la COVID-19 visait à soutenir, et non remplacer, la prise de décision des autorités gouvernementales, dit la porte-parole de la firme, Claire Fiset.

Nous sommes fiers d’avoir travaillé avec les fonctionnaires du Québec en leur fournissant des informations essentielles, basées sur les faits, dont ils avaient besoin (à ce moment) pour prendre les meilleures décisions sur des questions cruciales de santé publique, dans l’intérêt de l’ensemble des Québécois.

Le mandat de McKinsey est terminé. Québec affirme que les consultants sont intervenus « en amont des décisions formelles de réouverture » et ne se sont donc pas exprimés entre les feux verts de la santé publique et les annonces gouvernementales.

Mais nous n’en saurons pas plus. Malheureusement, ces mandats sont assujettis à des ententes de confidentialité et nous ne pouvons les commenter davantage, explique Claire Fiset, de McKinsey.

Quant à la CAQ, elle a bloqué, le 27 mai, une motion du Parti québécois, soutenue par le Parti libéral et Québec solidaire qui demandait la publication des avis produits par la firme.

Je suis renversé, c’est un comble, réagit le professeur Benoit Duguay. On ne veut pas dire au contribuable ce qu’on a acheté avec son argent. C’est un manque de transparence.

Selon lui, on n’avait pas besoin d’eux pour nous dire quoi faire, on a nos propres experts.

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