Les plus grandes entreprises canadiennes auront accès à des prêts d’Ottawa pour pouvoir passer à travers la crise de la COVID-19 et ainsi maintenir les emplois, a annoncé lundi le gouvernement Trudeau.

L’argent sera versé en vertu d’un nouveau Crédit d’urgence pour les grands employeurs (CUGE), destiné spécifiquement à toute firme ayant des revenus de plus de 300 millions de dollars.

Pour y être admissibles, les entreprises devront demander un prêt d’au moins 60 millions de dollars, ne pas être insolvables ou en restructuration et se soumettre à plusieurs conditions, notamment en matière d’environnement.

Certaines entreprises à but non lucratif pourront avoir accès au programme, mais celles du secteur financier et celles qui ont été reconnues coupables de fraude fiscale en seront exclues.

En conférence de presse, le premier ministre Justin Trudeau a clairement indiqué qu’Ottawa voulait ainsi agir comme prêteur de dernier ressort pour les entreprises qui ne peuvent obtenir de l’aide auprès des institutions financières.

Je veux être clair. Il s’agit d’un financement de transition, pas d’un chèque en blanc.

L’objectif du programme n’est pas de financer des entreprises non rentables ou d’entreprendre une restructuration, a précisé M. Trudeau. On n’a pas l’intention non plus de fournir des prêts à faible taux d’intérêt aux grandes entreprises.

Idéalement, les prêteurs du secteur privé suffisent aux besoins des grandes entreprises. Mais dans une situation extraordinaire, quand ce n’est pas assez, nous devons agir pour empêcher des dommages massifs pour les travailleurs canadiens, leurs familles et l’économie canadienne, a-t-il justifié par la suite.

Nous n’allons pas laisser des millions de gens perdre leurs moyens de subsistance en raison d’événements sans précédent qui étaient hors de leur contrôle.

Les compagnies aériennes, les pétrolières, les constructeurs automobiles et de grandes entreprises des secteurs du tourisme et de l’alimentation pourraient notamment se qualifier pour ce programme, ont expliqué le ministre des Finances, Bill Morneau, et son collègue de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, Navdeep Bains.

Le CUGE sera administré par la Corporation de développement des investissements du Canada (CDEV), en collaboration avec les ministères des Finances et de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie.

Le gouvernement a également fait savoir lundi qu’il élargit son Programme de crédit aux entreprises, mis en place le 27 mars dernier, afin que des entreprises de taille moyenne puissent y avoir accès.

Ce programme permettra dorénavant aux entreprises d’obtenir des prêts pouvant atteindre jusqu’à 60 millions de dollars, contrairement à 40 millions jusqu’ici. Des garanties de prêts pourront atteindre 80 millions.

Des conditions à remplir

Toutes les entreprises intéressées par le CUGE devront démontrer ce qu’elles entendent faire pour protéger les emplois et poursuivre leurs investissements au pays en présentant leur demande.

Avant d’obtenir l’argent, elles devront en outre s’engager à respecter les conventions collectives de leurs travailleurs et à assumer leurs obligations relatives aux régimes de retraite.

Des limites fermes concernant les dividendes, les rachats d’actions et la rémunération des dirigeants seront aussi imposées aux entreprises qui se prévalent du programme, a aussi dit Justin Trudeau, sans donner plus de détails.

Un document du cabinet du premier ministre précise par ailleurs noir sur blanc que les entreprises reconnues coupables de fraude fiscale n’auront pas accès au programme.

Pour contrer l’évitement fiscal et l’évasion fiscale, les entreprises devront partager avec nous leur structure financière complète lorsqu’elles présentent une demande pour obtenir du financement, a pour sa part déclaré M. Trudeau.

Il a cependant admis à demi-mot que les compagnies qui font de l’évitement fiscal, une stratégie légale mais non conforme à l’esprit de la loi, pourraient avoir une chance de s’en tirer.

Si en regardant les détails de leurs états financiers, on voit qu’ils n’ont pas tout à fait payé leur juste part d’impôt au Canada, on va exiger qu’ils fassent des changements pour recevoir ces fonds publics.

Justin Trudeau a aussi déclaré que les entreprises qui souhaitent obtenir une aide avec le CUGE devront prendre des engagements en matière d’environnement.

Selon le document de son cabinet, elles devront plus précisément s’engager à publier annuellement des rapports de divulgation de l’information liée au climat, conformément aux exigences du Groupe de travail sur la divulgation de l’information financière relative aux changements climatiques du Conseil de stabilité financière.

Cela inclut la façon dont leurs opérations futures appuieront la durabilité environnementale et les objectifs nationaux en matière de climat.

Justin Trudeau s’est défendu de vouloir écarter des entreprises avec une telle condition. Pour les prêteurs privés et pour le gouvernement, a-t-il dit, il est approprié de se pencher sur la stratégie d’atténuation des risques que devra affronter une industrie à l’avenir, ce qui inclut les changements climatiques.

On a déjà vu plusieurs grandes compagnies du secteur pétrolier afficher des plans pour atteindre le net zéro [NDLR : des émissions nettes de gaz à effet de serre nulles] en 2050, et pour contrer les changements climatiques en réduisant leurs émissions. Nous nous attendons à ce que toute compagnie qui accède à ce financement va démontrer [son] plan pour faire partie de la solution.

Il est à noter que tous les détails du CUGE ne sont pas encore finalisés. Conséquemment, les informations sur le processus de demande n’ont pas encore été divulguées.

Scheer déçu

Le chef démissionnaire du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, a rapidement fait savoir qu’il juge le programme flou, notamment en ce qui concerne les termes des prêts qui pourront être offerts.

Il se demande en outre si les compagnies devront prouver un certain niveau de pertes de revenu pour y être admissibles, le gouvernement n’ayant rien précisé à ce sujet.

M. Scheer affirme en outre que cela ne répond pas aux besoins des entreprises du secteur pétrolier, dont les difficultés sont aggravées par la crise de la COVID-19.

Si c’est tout, ce n’est pas ce qui a été promis ou ce qui était attendu, a-t-il dit en conférence de presse.

Le ministre Morneau avait promis une aide spécifique pour le secteur gazier et pétrolier pour répondre aux circonstances uniques et aux défis spécifiques que le secteur doit affronter.

Dans un message publié sur Twitter, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh a pour sa part insisté sur la nécessité d’exclure les entreprises qui ne paient leur juste part d’impôt.

Toute aide du gouvernement qui va aux grandes entreprises doit être liée à la création ou au maintien d’emplois canadiens. L’aide doit aller aux travailleurs et aux travailleuses, et non aux PDG, a-t-il fait valoir.

Et toute entreprise qui trompe le public en refusant de payer sa juste part d’impôts ne doit pas recevoir d’aide du public.

Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, Perrin Beatty, a pour sa part salué le nouveau CUGE.

Les grandes entreprises ne souffrent pas moins de la crise que les petites, a-t-il plaidé dans un communiqué, et cette aide sera cruciale pour les millions de personnes qu’elles emploient et pour les chaînes d’approvisionnement au pays.

Les plus grandes entreprises, comme toutes les autres, ont investi de façon significative dans la sécurité, tout en maintenant leurs effectifs, mais elles ne peuvent pas continuer sans une aide financière à court terme.

La Prestation canadienne d’urgence et le programme de subventions salariales du gouvernement sont des approches positives, dit-il, mais cela ne répondait pas aux besoins en liquidité des grandes entreprises.

M. Beatty affirme cependant que son organisation espère que les gouvernements adopteront aussi des programmes taillés sur mesure pour certaines industries particulièrement touchées par la crise.

Add Your Comment