« Trop tôt » et « trop vite », voilà les réactions que suscite le déconfinement au Québec parmi des experts de l’extérieur de la province. Ils citent en particulier la reprise des visites dans les CHSLD et la réouverture des écoles primaires à partir de lundi.

Ces experts soulignent que le Québec est la province ayant le plus de cas de coronavirus et de décès liés à la COVID-19 au pays.

Et des centaines de cas s’ajoutent chaque jour au bilan, note le Dr Isaac Bogoch, spécialiste des maladies infectieuses à l’Institut de recherche de l’Hôpital général de Toronto.

Il y a environ 800 nouveaux cas par jour [au Québec], c’est beaucoup!

Le Dr Bogoch souligne que c’est près du double du nombre quotidien de nouveaux cas recensés en Ontario au cours de la dernière semaine.

Oui, plus de la moitié des cas au Québec sont concentrés dans la région de Montréal et les décès touchent surtout les résidents des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Mais pour lui, la situation demeure « préoccupante » au Québec.

Isaac Bogoch en entrevue dans son bureau.

Isaac Bogoch, infectiologue de l’Hôpital général de Toronto.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Même son de cloche de la part de la professeure de mathématiques à l’Université Simon Fraser Caroline Colijn, qui est spécialisée en épidémiologie. À la lumière des statistiques, il n’y a « pas de signes » d’une réduction de la transmission communautaire au Québec, particulièrement dans la région de Montréal, conclut-elle.

Selon elle, il pourrait même y avoir 3 à 10 fois plus de cas que ne le laissent entendre les chiffres officiels, si l’on fait des projections à partir du taux de mortalité.

Le couvercle est sur le feu présentement. Mais si on l’enlève, on doit s’attendre à ce que les flammes surgissent, peut-être rapidement.

L’épidémiologiste et professeur à l’Université d’Ottawa Raywat Deonandan ajoute qu’environ 13 % des tests de dépistage sont positifs au Québec, comparativement à 5 % en Ontario.

Soit le Québec n’effectue pas assez de tests ou l’épidémie n’y a pas été maîtrisée, soutient-il.

Rouvrir les écoles : un risque

Pour la professeure Colijn, la réouverture des écoles est une « grande inconnue ». On ne sait pas si les enfants sont infectieux, dit-elle.

Les classes au primaire doivent reprendre lundi au Québec, sauf dans la région de Montréal, où la réouverture des écoles a été reportée au 25 mai, tout comme pour les commerces.

Le Québec cite la nécessité de reprendre l’apprentissage en classe et de permettre aux parents des élèves de retourner au travail. Par ailleurs, la fréquentation des écoles est optionnelle.

Le premier ministre François Legault et le directeur national de santé publique Horacio Arruda ont aussi soutenu que les enfants étaient moins à risque que les adultes en général.

Toutefois, selon le professeur Deonandan, de nouvelles données d’Allemagne laissent entendre que les enfants risquent autant que les adultes de transmettre le coronavirus, contrairement à ce que pensaient les chercheurs auparavant.

Si on rouvre les écoles, les enfants pourraient infecter leurs parents et leurs grands-parents.

Le Dr Raywat Deonandan sourit de toutes ses dents.

Le Dr Raywat Deonandan est épidémiologiste et professeur à l’Université d’Ottawa.

Photo : Courtoisie de Raywat Deonandan

Pour lui, il vaudrait mieux être « plus prudent », étant donné qu’il reste toujours beaucoup d’interrogations au sujet de la transmissibilité de la COVID-19 chez les enfants.

La professeure de pédiatrie Anna Banerji, de l’Université de Toronto, pense que le Québec rouvre les écoles et les garderies « trop rapidement », soulignant elle aussi que des enfants infectés pourraient transmettre la maladie à des aînés vulnérables ou à des personnes ayant le cancer ou à des personnes immunodéprimées.

Étant donné que l’année scolaire est presque terminée, dit-elle, je ne suis pas sûre que ça vaille la peine de courir ces risques.

  • En Ontario, les écoles resteront fermées au moins jusqu’au 31 mai; le gouvernement de Doug Ford n’a pas exclu un retour en classe le 1er juin.
  • La Nouvelle-Écosse, la Saskatchewan et l’Alberta, notamment, ont confirmé que leurs écoles ne rouvriraient pas avant septembre.
  • La Colombie-Britannique a un plan de retour en classe en plusieurs étapes. Actuellement, environ 5000 enfants de travailleurs de première ligne et élèves avec des besoins particuliers sont de retour en classe. D’ici juin, les élèves de la maternelle à la 5e année doivent pouvoir fréquenter l’école à temps partiel, s’ils le désirent, tout comme les élèves de la 6e à la 12e année qui ont des difficultés particulières.
François Legault en conférence de presse.

Le premier ministre du Québec, François Legault.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

De son côté, le Dr Arruda au Québec a affirmé qu’il n’hésiterait pas à revenir en arrière si la population devait associer le processus de déconfinement à une forme de laisser-aller.

Des inquiétudes entourant les foyers pour aînés

Une autre préoccupation au Québec pour la Dre Banerji : les résidences pour personnes âgées.

Selon elle, il est trop tôt pour permettre à nouveau les visites, même si le Québec promet de limiter cet accès aux proches aidants.

Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge et les centres de soins de longue durée ne devraient pas autoriser de visiteurs.

Pour elle, il vaut mieux utiliser Internet pour le moment et faciliter les rendez-vous virtuels entre les résidents des foyers et leurs proches.

Elle est toutefois d’accord avec la réouverture graduelle des commerces, à condition que la distanciation physique continue d’y être pratiquée.

Le professeur Deonandan affirme, lui, que si on autorise des visiteurs dans les centres de soins de longue durée, ils devraient se soumettre à une vérification des symptômes à l’entrée et porter de l’équipement protecteur. %”,”text”:”Il faut protéger la population des foyers à 100%”}}” lang=”fr”>Il faut protéger la population des foyers à 100 %, dit-il.

« Sage » de déconfiner plus tard à Montréal

Un couple attend en file dans un magasin à Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec.

La réouverture graduelle des commerces est une bonne chose, selon la Dre Anna Banerji, si la distanciation physique est maintenue. En revanche, elle s’inquiète de la réouverture des écoles et des visites dans les CHSLD au Québec.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Le Dr Bogoch salue la décision du Québec de reporter le déconfinement dans la région de Montréal au 25 mai, que ce soit pour la réouverture des écoles ou des commerces (les magasins ont pu rouvrir à partir du 4 mai dans le reste du Québec).

Selon lui, il s’agit d’une « sage » initiative.

Cela dit, il souligne que les « gens se déplacent » et qu’il pourrait être difficile pour le Québec de bloquer l’importation de cas de régions plus touchées aux secteurs moins touchés de la province avec sa stratégie de déconfinement régional.

Personnellement, je pense que le Québec déconfine trop tôt, dit-il. Le spécialiste des maladies infectieuses ajoute toutefois que chaque province doit soupeser dans sa décision une variété de facteurs, la santé bien sûr, mais aussi les répercussions sociales et économiques du confinement.

Le professeur Deonandan pense lui aussi que le Québec devrait aller plus lentement, pour mieux mesurer les effets de chaque phase de déconfinement. On laisse les centres de jardinage rouvrir et on analyse les données, puis on permet par exemple aux gens de se rassembler pour des soupers et on mesure les effets, explique-t-il.

Je comprends les motivations du Québec. La population souffre économiquement. Mais je pense que le Québec va trop vite, surtout étant donné que la province est l’épicentre de la pandémie au pays.

La Corée du Sud, pourtant citée en exemple par les experts pour sa lutte contre la pandémie, a reconfiné récemment une partie de son économie, ordonnant la fermeture des bars et des discothèques de la capitale Séoul, après une flambée de cas.

Deux solitudes?

Le Dr Yves Longtin, professeur de médecine à l’Université McGill et spécialiste en contrôle des infections à l’Hôpital général juif de Montréal, s’inquiète pour les hôpitaux de la région montréalaise.

Il affirme que le réseau est « plus fragile » qu’en janvier.

Le déconfinement va augmenter les risques qu’un patient affecté par la COVID sans présenter de symptômes (un de ces cas “asymptomatiques”) introduise le virus dans nos hôpitaux, dit-il. La reprise des activités médicales telles les chirurgies et l’oncologie va exiger que des ressources soient déviées de la COVID-19.

Il appréhende une deuxième vague.

Le personnel soignant est fatigué et à bout de souffle, et plusieurs sont en quarantaine à la maison, car ils ont contracté la COVID-19. De plus, les réserves d’équipement protecteur sont moins grandes, et la capacité de tester des individus n’est pas énorme actuellement.

Selon le Dr Bogoch, il ne serait pas surprenant malheureusement de voir une « flambée » de cas au Québec avec le déconfinement, ce qui pose aussi un risque, selon lui, pour les provinces voisines comme l’Ontario.

Tout comme le Québec, l’Ontario et plusieurs autres provinces ont donné le feu vert à la réouverture graduelle de certains commerces; le Nouveau-Brunswick autorise même les restaurants à rouvrir et permet les rassemblements de dix personnes ou moins à l’extérieur.

Toutefois, de toutes les provinces, le Québec est celle qui a le plan le plus ambitieux de réouverture des écoles, même si c’est la province qui a le plus de cas de COVID-19.

Pourquoi cette divergence d’approche sur le déconfinement entre le Québec et le reste du Canada? Il faudrait poser la question à M. Legault! rétorque le Dr Longtin.

Notre dossier : La COVID-19 en Ontario

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