« Le caucus est totalement ingérable en ce moment : ça prend un chef au plus sacrant », me lance de but en blanc un ancien stratège conservateur à qui j’ai demandé pourquoi le parti semblait pressé de relancer sa course à la direction, interrompue par la pandémie.

Andrew Scheer a beau être le chef intérimaire, tout le monde sait que ses jours sont comptés. Il n’a pas d’autorité morale, me dit mon interlocuteur.

Le caucus est fractionné, les députés travaillent en vase clos. T’as la gang à Peter [MacKay] qui fait ses affaires comme si Peter était déjà le chef. T’as la gang à [Erin] O’Toole qui fait ses affaires comme s’il était déjà le chef, pendant que les autres font comme s’il n’y avait pas de chef, dit-il.

Montage photo de portraits d'Erin O'Toole et Peter Mackay.

Erin O’Toole et Peter Mackay sont présentés comme les meneurs de la course au leadership du Parti conservateur.

Photo : La Presse canadienne

Le seul remède, la seule façon d’insuffler un peu de discipline, c’est un chef permanent.

C’est le message qui aurait été transmis sans équivoque au comité organisateur de la course à la chefferie, et c’est l’une des raisons qui ont mené le parti mercredi à relancer cette course qui était en pause depuis le 26 mars dernier.

Les candidats ont maintenant jusqu’au 15 mai pour recruter de nouveaux membres. Le choix se fera par bulletin postal et le dépouillement commencera le 21 août.

Reprendre du début

Un groupe de militants aurait préféré que le parti profite de l’occasion pour recommencer la course du début, dans l’espoir d’attirer de nouveaux candidats.

L’ex-chef de cabinet adjointe de Stephen Harper, Jenni Byrne, est de cet avis. C’est l’occasion de voir s’il existe de nouveaux candidats potentiels ou des candidats qui ont dit non au départ et qui pourraient avoir changé d’avis, a-t-elle indiqué dans le cadre du balado politique The Herle Burly.

Certains membres du caucus ont travaillé fort en coulisses depuis le début de la pandémie pour recruter de nouveaux candidats. Le nom de Jason Kenney a circulé, tout comme celui (encore une fois) de Bernard Lord.

Mais malgré tous leurs efforts, personne n’a levé la main. Difficile donc de justifier une reprise de la course ni même un délai supplémentaire.

C’est sans compter le risque de transformer la course en querelle publique. Juridiquement, ils ne pouvaient pas faire cela, me lance un membre du caucus. Ça aurait pu être contesté en cour.

Un délai n’était pas souhaitable non plus. Si tu ne fais pas un “reset”, explique l’un de ceux qui ont activement participé à la recherche de nouveaux candidats, ça ne vaut pas la peine de retarder davantage.

Et puis, dans le contexte actuel, plus question de miser sur la course pour donner de la visibilité au parti et au futur chef. Les consignes de santé publique permettent mal d’envisager des débats, des assemblées publiques et encore moins un grand congrès comme on l’avait originalement prévu à Toronto. Retarder la course davantage n’aurait vraisemblablement pas changé les choses.

Alors les conservateurs iront de l’avant avec les quatre candidats en lice. Peter Mackay et Erin O’Toole sont considérés comme les meneurs. Derek Sloan et Leslyn Lewis sont également des candidats vérifiés.

La nécessité d’avoir un chef permanent

Si certains pensent qu’avec la crise qui sévit toujours, il aurait été préférable d’attendre encore un peu avant de poursuivre la course, un choix rapide a finalement fait consensus.

Il s’agit d’unifier le caucus, de préparer la réponse de l’opposition aux propositions du gouvernement, et de mettre la table à une certaine forme de reprise des travaux d’ici l’automne.

Et puis, certains pensent qu’il faut être prêt pour… une élection. Oui, oui, une élection! Que Justin Trudeau pourrait déclencher lui-même d’ici un an. En tout cas, c’est le scénario mis de l’avant par certains conservateurs.

Le chef libéral connaît un regain de popularité pour sa gestion de la crise, qui est généralement bien reçue. Pourrait-il être tenté de demander un mandat fort aux Canadiens, afin d’avoir les coudées franches pour piloter la reprise économique et gérer le déficit?

Trudeau ne va pas attendre de se faire renverser, affirme un conservateur. L’opposition n’a pas de visibilité, et les libéraux ont le narratif dont ils ont besoin.

Un scénario parmi d’autres qui est loin d’alimenter toutes les discussions au sein de la famille conservatrice. N’empêche, mieux vaut être prêt : on ne sait jamais.

Et si jamais cela s’avérait? L’un des deux meneurs de la course serait-il en mesure de tirer son épingle du jeu?

On est dans le trouble, confie une source qui, quelques jours plus tôt, se rappelait avec un ex-ministre de Stephen Harper la piètre campagne de Stéphane Dion en 2008 et la désastreuse performance de Michael Ignatieff trois ans plus tard. On va l’avoir notre Ignatieff, nous aussi, conclut-il.

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