Bien que plusieurs coups de sonde montrent que les théories du complot cheminent chez de nombreux Québécois, le gouvernement Legault n’entend pas modifier sa stratégie. Puisque Québec compte essentiellement sur la collaboration de la population et qu’il est visiblement restreint sur le plan juridique quant aux manifestations, il fait face à un phénomène difficile à contrer.

Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique, le répète : C’est exaspérant de voir encore des mouvements et du scepticisme à l’endroit du fait que la pandémie existe […], que ça peut devenir dangereux, a-t-elle encore dit en entrevue à Radio-Canada, dimanche.

La plus récente manifestation réfractaire aux autorités et aux consignes sanitaires, tenue à Montréal samedi, a rassemblé des milliers de personnes. Différentes théories du complot y ont été véhiculées.

Selon Mme Guilbault, les conspirationnistes, a fortiori ceux qui manifestent, bénéficient d’une visibilité et d’une sonorité disproportionnées pendant que la majorité silencieuse fait sa part de sacrifices pour tenir la COVID-19 en échec. La ministre maintient que les complotistes représentent une minorité.

Si ces gens-là sont tannés d’entendre parler de la COVID, bien la meilleure façon de s’en débarrasser, c’est de respecter les règles.

Au mois d’août dernier, le premier ministre François Legault a minimisé le phénomène quand la députée indépendante Catherine Fournier l’a interpellé sur la popularité grandissante des théories du complot. C’est une petite exception, disait-il à propos de ceux qui désobéissent aux consignes de santé publique.

Mme Fournier avait du même souffle pressé le gouvernement d’adopter un plan d’action pour lutter contre la désinformation liée à la pandémie.

Des idées qui font du chemin

Pendant ce temps, plusieurs données tendent à démontrer que certaines théories du complot gagnent du terrain dans la population. Un récent sondage d’une équipe de l’Université de Sherbrooke conclut que près d’un Canadien sur cinq adhérait à des idées conspirationnistes au début de l’été.

Selon un sondage (Nouvelle fenêtre) de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dont les résultats ont été dévoilés en août, près d’un Québécois sur quatre croyait, au début de la pandémie, que le virus avait été créé en laboratoire.

Un manifestant brandissant une affiche antivaccin.

Plusieurs manifestations véhiculant des idées conspirationnistes ont été tenues au Québec ces dernières semaines.

Photo : Radio-Canada / David Rémillard

À la fin d’août, un sondage CROP réalisé pour le compte de La Presse concluait que 18 % des répondants croyaient que la pandémie a[vait] été créée par les gouvernements pour nous contrôler. De plus, 35 % d’entre eux estimaient que de fausses nouvelles sur la COVID-19 étaient répandues par les médias traditionnels.

Malgré ces constats, le gouvernement ne se montre aucunement disposé à changer sa stratégie de communication. Bien que des personnes puissent être réfractaires à certaines informations, le gouvernement estime que de continuer à communiquer des informations vérifiées, par les moyens déjà utilisés, demeure la voie à privilégier afin de favoriser l’adhésion de la population, écrit une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux dans un courriel envoyé à Radio-Canada.

Le gouvernement, ajoute-t-elle, s’efforce de communiquer de façon transparente avec la population, notamment par l’entremise de nombreuses conférences de presse, entrevues et publications sur les médias sociaux. Le conseil exécutif, le ministère qui relève directement du premier ministre, prône la même approche.

Quels leviers juridiques?

En juillet, après un rassemblement antimasque à Québec, la ministre Geneviève Guilbault affirmait que le gouvernement cherchait un moyen de sévir contre les personnes qui participent à des rassemblements ouvertement opposés aux mesures sanitaires.

Pour des événements où il y a vraiment une dérogation affichée aux consignes de santé publique, un événement qui porte lui-même sur l’adversité envers les consignes de santé publique, il faut quand même s’outiller pour intervenir, disait-elle.

Depuis, le gouvernement a annoncé un resserrement de la coercition et la distribution d’amendes si une violation des consignes sanitaires était observée dans les lieux publics fermés. Ces mesures ne touchent toutefois pas les manifestations ou les lieux publics extérieurs.

Une foule de personnes, sans masque, manifeste. Un homme tient une pancarte où l'on peut lire : Non au masque obligatoire.

Les manifestants dans les rues de Montréal, samedi, étaient opposés au port du masque obligatoire, à la vaccination et au réseau 5G.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Au cabinet de Mme Guilbault, on refuse de dire si une solution a été trouvée pour intervenir dans les manifestations où personne ne porte le masque ou n’observe la distanciation physique de deux mètres. Ce n’est pas une question de solution. On a toujours dit qu’on respectait le droit de manifester, a rétorqué un membre de son cabinet.

En juillet, le Service de police de la Ville de Québec avait pris la décision de ne pas intervenir auprès de manifestants antimasques malgré le non-respect évident des décrets sanitaires. Il a expliqué ensuite que le droit de manifester, prévu par la Charte des droits et libertés, devait être respecté.

Invitée à commenter cette décision, Mme Guilbault avait souligné l’importance de l’applicabilité d’éventuelles mesures coercitives.

Opération délicate

S’il est difficile d’empêcher les manifestants de se rassembler, les mouvements conspirationnistes sont tout aussi difficiles à cerner en ligne, rappelle Ève Dubé, anthropologue et chercheuse à l’INSPQ. On ne peut pas avoir une approche frontale avec ces groupes-là, lance-t-elle à propos des moyens à la disposition de l’État.

D’abord, ces gens ont, à divers degrés, un problème de confiance envers les autorités. Ils ne vont pas se sentir interpellés par les messages du gouvernement, affirme Mme Dubé au sujet des campagnes d’information.

Sur d’autres terrains, comme les médias sociaux, toute intervention trop directe risque de contribuer à alimenter l’idée selon laquelle il y a des forces plus grandes à l’oeuvre.

C’est très difficile, voire impossible, pour un gouvernement de faire une démarche juridique pour faire fermer une page Facebook. Ce serait très mal vu.

Et le problème n’est pas unique aux gouvernements. : “Dépêchez-vous d’aller voir ce reportage-là avant qu’il ne soit retiré””,”text”:”Même les interventions des médias sociaux [comme Facebook ou Twitter], qui retirent du contenu non fondé scientifiquement par rapport à la pandémie, contribuent à alimenter ce mouvement-là. Parce que les adeptes disent: “Dépêchez-vous d’aller voir ce reportage-là avant qu’il ne soit retiré””}}” lang=”fr”>Même les interventions des médias sociaux [comme Facebook ou Twitter], qui retirent du contenu non fondé scientifiquement par rapport à la pandémie, contribuent à alimenter ce mouvement-là. Parce que les adeptes disent : “Dépêchez-vous d’aller voir ce reportage-là avant qu’il ne soit retiré”, poursuit Mme Dubé.

La chercheuse refuse toutefois l’idée selon laquelle le Québec reste les bras croisés devant le phénomène. Il y a des actions que le gouvernement fait, des actions en temps réel. Il y a aussi toute une surveillance de ce qui se dit [sur les réseaux sociaux] avec des projets de recherche, souligne-t-elle.

L’un des objectifs de ces actions est de détecter la montée d’idées conspirationnistes et de les contrer avant qu’elles gagnent en popularité. Il faut que ça reste dans la marge.

Le gouvernement a aussi usé de certaines stratégies permettant de rejoindre des groupes fréquentant moins les canaux de communication traditionnels, comme les jeunes. Mme Dubé estime toutefois qu’il y a encore vraiment beaucoup de travail à faire. Et je pense qu’il faut qu’on comprenne [d’abord] pourquoi des gens adhèrent à ces théories-là.

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